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Entreprise libérée - Les enseignements de BoiMonDau (Partie 2)

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1971 : la communauté BoiMonDau dépose le bilan, quels enseignements…

Le précédent article décrivait le fonctionnement et les bénéfices de la communauté de travail telle que Marcel Barbu l’a mise en place avec ses compagnons entre 1941 et 1946.

C’est en observant les pratiques et les évolutions retranscrites dans les ouvrages décrivant les communautés de travail que nous en sommes venus à vous proposer des axes qui nous paraissent les plus essentiels au bon fonctionnement du système. Car oui, c’est un système qui a été mis en place. Cela signifie que c’est un tout. La modification d’une composante influant sur les autres composantes et de façon très probable sur les résultats produits par le système.

Pour identifier ces axes, nous avons cherché à détecter les éléments fondateurs différenciant par rapport à nos organisations actuelles, ainsi que des baisses de régime et leur élément déclencheur qui nous permettraient de remonter à une cause racine.

Nous avons identifié 2 grandes familles d’axes :

A. La performance collective

  • La responsabilité collective obtenue par la mise en commun des moyens de production.
  • La valorisation des valeurs et comportements en accord avec la règle de la communauté de travail.
  • La résolution de conflits par des feedback directs, en groupe, en individuel avec ou sans médiateur.
  • La discipline librement consentie.

B. La cohésion de groupe

  • L’intégration des nouveaux arrivants
  • La proximité
  • La transparence
  • L’exemplarité

La performance collective

La responsabilité collective

« La société Marcel Barbu » devient « communauté de travail Marcel Barbu » le 1er janvier 1944, date à laquelle, Marcel Barbu remet entre les mains des compagnons, l’outil de production. Aucun d’entre eux n’est propriétaire mais tous sont responsables de nourrir la communauté en utilisant au mieux les moyens de la communauté, en les maintenant en état, ainsi qu'en prévoyant le passage de relais à d’autres compagnons.

Par cette action, Marcel BARBU rend l’ensemble des compagnons collectivement responsables.

Marcel Barbu met en place très tôt un chant de ralliement des compagnons de BoiMonDau, c’est La chère maison :

« Nous l'avons bâtie, la chère Maison
Et toute notre vie, nous la protégerons (bis) »

Pour quelle raison rechercher cette responsabilité collective ? Pour avoir des personnes investies. Parce que la mise en commun des moyens de production en fait une équipe au service d’un projet de transfert à la postérité. Les compagnons sont alors dans une posture d’entrepreneuriat collectif.

La valorisation des valeurs et comportements

Cette responsabilité collective est renforcée par un système de rémunération à la valeur humaine (cf. article précédent) où le compagnon lui-même et ses compagnons procèdent régulièrement à une évaluation par rapport à des attentes qui traduisent ce que l’on veut voir comme comportement chez les compagnons.

La rémunération à la valeur humaine est un système de répartition de la masse salariale totale. Le salaire varie donc en fonction de la performance de la société (réévaluation faite tous les trimestres). Tout le monde est concerné par cette rémunération à la valeur humaine. Tous les compagnons prennent leurs responsabilités et mettent la main à la pâte. Le résultat de l’investissement de chacun est en effet visible rapidement à la hausse ou à la baisse sur les salaires.

En 1948 pendant la crise horlogère, la communauté n’était plus en mesure de verser des salaires. A Boimondau, le maître mot fut la solidarité. Toutes les entrées d’argent furent mises en commun, y compris les allocations familiales. Certains prenaient des emplois hors de la communauté pour mettre les salaires ainsi collectés au pot commun. Cela a permis de maintenir l’existence de la structure qui a pu ensuite rebondir.

Le système privilégie la performance collective à la performance individuelle. Plus la performance du groupe est importante, plus la part répartie sera importante. Plus j’y ai contribué par mon attitude collaborative et performante et plus mon salaire sera important.

La résolution de conflits

La résolution de conflits est réalisée à plusieurs niveaux mais toujours de façon directe. Plusieurs pratiques pour cela dans les communautés de travail :

  • Le feedback direct lors des réunions d’ateliers ou des assemblées de contact, l’équivalent de nos rétrospectives quel que soit le niveau hiérarchique. Ces sessions permettent de « se laver la tête mutuellement ».
  • Le feedback direct du chef de communauté qui passe dans les ateliers et conseille les compagnons. Lorsque Marcel Barbu était chef de communauté, il faisait des retours rapides à ses compagnons pour maintenir un niveau de qualité élevé et une dynamique d’amélioration continue. Cela permet également aux chefs (quel que soit leur niveau) de rester conscients des problèmes et opportunités qui se posent sur le terrain.
  • Le tribunal est une instance que n’importe quel membre de la communauté de travail peut solliciter. Il permet de gérer les conflits plus graves, les écarts à la règle.

Quelques exemples de décisions prises par le tribunal sont disponibles. Quelques exemples sympathiques et représentatifs ci-dessous :

  • Désagréable envers sa femme. Les camarades feront pression sur l’époux pour qu’il soit meilleur.
  • Refus d’héberger un jeune réfugié toulonnais. Manifeste de la contrition ; en conséquence une semaine sans salaire pour l’épouse.
  • A montré un esprit non communautaire à la ferme. Ne peut passer postulant, donc renvoyé.
  • Stagiaire : nous a quittés, semble avoir été déçue par la Communauté qu'elle a connue dans une époque troublée. Le Tribunal prend acte.
  • Après un incident avec MERMOZ, les époux partent de la ferme. MERMOZ considère le fait comme un abandon de poste. Il (Mermoz) occupe leurs deux pièces en aménageant sa propre chambre et son bureau. Les époux remontent et sont donc logés dans une chambre plus petite ; ils se plaignent. MERMOZ rétorque qu'il est responsable de son service et agit comme il l'entend. MERMOZ est effectivement responsable mais il agit d'une manière autoritaire et peu humaine : il est blâmé.
  • Réflexions anti-communautaires. MERMOZ propose une sanction dans une usine capitaliste. Sera replacé dans le postulat pour une période de 2 mois. Au bout de cette période, il repassera devant le Tribunal.

Note : Marcel Mermoz est chef de communauté de 1944 à 1945 lorsque Marcel Barbu est déporté à Buchenwald.

Vous remarquerez que tout le monde est concerné et peut être amené devant le tribunal, y compris le chef de communauté. Pour rappel les sanctions y sont décidées à l’unanimité par tous les membres du tribunal y compris la personne qui a commis l’« écart ».

La discipline librement consentie

La règle communautaire définit les droits et les devoirs des compagnons. A partir de 1948-1949, des briques commencent à être considérées comme non applicables. Le retrait de ces briques telles que la formation obligatoire des compagnons, ou encore en 1953 la rémunération à la valeur humaine, ou encore la suspension tout simplement de l’application de la règle car les activités sociales sont trop chères à maintenir, sont autant de décisions qui affaiblissent le système car contraires à l’objectif initial qui était l’épanouissement de l’individu.

A la fin de la vie de Boimondau, la règle n’est plus un document qui formalise un ensemble minimum sur lequel tous les compagnons se sont engagés. Il semble qu’en perdant sa règle, Boimondau a aussi perdu sa vision « la communauté au service de l’épanouissement de l’individu », à moins que ce soit l’inverse.

Michel Chaudy écrit dans l’ouvrage « Créateurs d’utopies Démocratie – Autogestion Economie sociale et solidaire » paru aux Editions Yves Michel :

L’obligation de se former (culturellement et physiquement) cesse vers 1948, la Règle communautaire est suspendue à la fin des années 1950, les compagnons, devenus minoritaires, assument toutes les fonctions de responsabilité, l’ancienneté remplaçant les compétences, ce qui provoque une scission entre les salariés plus jeunes et les portants de l’autorité. Boimondau se vide de ses activités communautaires dans les années 1960.

La cohésion du groupe

L’intégration des nouveaux arrivants

L’intégration des nouveaux arrivants est réalisée sur une période de 12 mois pendant laquelle la personne ne peut pas prendre part aux décisions mais est invitée à prendre part aux échanges et à participer à la vie de la communauté.

C’est une période d’acclimatation du nouvel arrivant, il apprend à comprendre les mécanismes de la communauté et surtout acquiert la philosophie qui régit la communauté.

C’est aussi l’occasion pour les membres de la communauté d’accompagner le nouvel arrivant dans l’apprentissage de nouveaux réflexes et de détecter les écarts insurmontables. C’est pendant cette période que le futur compagnon réfléchit à son idéal de vie.

Lorsque Marcel Barbu monte la Cité qui est un regroupement de 4 communautés de travail, il est tellement sûr des résultats du système de la communauté de travail, qu’il embauche avec des salaires élevés. Il accepte aussi que certains après leur période de postulat ne deviennent pas compagnons mais restent dans l’entreprise. Se crée alors deux clans, ceux des communautaires et le clan des non-communautaires. Barbu va vite, il ne passe pas autant de temps dans les ateliers. Il encourage la discussion mais ne prête pas suffisamment attention aux chiffres. La Cité vit au-dessus de ses moyens et Barbu peut boucler les fins de mois parce que Pierrette et lui sont capables de produire des boitiers d’une grand qualité. Le système est affaibli et ne résiste pas à la crise horlogère malgré la solidarité des quelques communautaires.

Plusieurs enseignements dans cette expérience :

  • Le salaire au démarrage est dé-corrélé de la répartition d’une masse salariale. C’est une estimation/projection par rapport à ce qui existait à Boimondau.
  • Le temps d’intégration de la culture nécessite de la présence, du temps surtout au démarrage (le couple Barbu était le seul à savoir au démarrage, ce qu’était une communauté).
  • Le groupe au sens communauté n’était pas créé, autoriser des règles différentes au sein d’une même société, c’est favoriser les inégalités de traitement.

La proximité

A partir de 1946, après son retour de Buchenwald et ses trois mois en tant que député de la Drôme, Marcel BARBU retourne voir ses compagnons et son chef de communauté de l’époque, Marcel MERMOZ. Il constate que la dynamique n’est plus celle qu’il avait instaurée. Doucement mais sûrement, la culture avait changé vers plus de production et moins d’épanouissement. Dès 1945, la barre des 100 compagnons est dépassée, la connaissance de tous par tous s’en trouve limitée. La rationalisation plus que l’innovation permet à ressources équivalentes d’augmenter la production. Petit à petit les activités sociales sont délaissées au profit de la rentabilité.

La proximité contribue à la création du groupe car elle permet de maintenir un niveau suffisant « d’inter connaissance de chacun par tous et de tous par chacun ».

La transparence

Pour créer ce climat de confiance nécessaire au bon fonctionnement du groupe, l’un des piliers des communautés de travail est la transparence. Comme la responsabilité est partagée au sein de la communauté de travail, disposer de la bonne information au bon moment parait primordial pour comprendre et agir de façon sensée, raisonnée et en accord avec les objectifs de la communauté.

Cette transparence est nécessaire à la préparation des assemblées générales, lesquelles sont préparées par les réunions de quartier. Les réunions de quartiers sont une institutionnalisation des relations d’affinité. Ces réunions permettent de libérer la parole des personnes en présence dans une ambiance conviviale et donc de créer une transparence plus vraie.

La transparence passe également par les comptes-rendus, les diffusions des newsletter. Les assemblées de contact, présidées à tour de rôle par un compagnon, sont réalisées avec un ton relâché, commencent et finissent par une chanson et sont un lieu où les compagnons peuvent finir le travail de correction fraternelle (feedback direct).

L’exemplarité

La diffusion des compétences du chef de communauté a été limitée par les emprisonnements multiples de Marcel Barbu (aux camps de Fort Barraux et St Sulpice en 1942 et à Buchenwald en 1944-1945). L’objectif du chef de communauté et des autres chefs est de transmettre les compétences nécessaires pour leur poste car ils risquent de se trouver dans une situation où le pouvoir pourrait leur faire tourner la tête. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le rôle de chef est temporaire dans la règle.

Marcel Barbu n’a pas eu le temps de présence nécessaire pour former Marcel Mermoz. Ce qui pourrait expliquer l’évolution de la culture à Boimondau car Mermoz était plus tranchant et moins humaniste que Barbu. « Barbu influence, Mermoz argumente » . Marcel Mermoz, lui non plus n’a pas vraiment formé de successeur, son départ s’est fait de façon soudaine et il lui arrivait d’utiliser son départ comme une menace si quelques-uns tentaient de se rebeller.

Le chef se doit d’appliquer la règle car si lui ne l’applique pas, comment pourrait-on attendre des autres qu’ils le fassent. Il trahit son engagement, dès lors, tout le monde est en droit de trahir le sien.

Marcel Barbu disait :

S’il est vrai que la communauté enlève à l’homme la liberté de faire impunément le mal, elle lui facilite singulièrement l’exercice du bien, et est ainsi pour lui le plus efficace moyen de libération. » […] « L’homme n’est pas naturellement bon. Mais ce n’est pas en le faisant vivre dans un climat mauvais que nous le rendons meilleur. Il nous sera facile du reste de déceler les incurables et de les mettre impitoyablement à part. Notre société n’offre des chances qu’aux hommes de bonne volonté.

Pour moi, Boimondau n'était pas l'œuvre de ma vie. Toute ma vie de gosse, puis d'adulte, n'avait été qu'un refus de la société dans laquelle j'étais né et qui, sans succès, avait voulu m'inculquer son système de pensée. Pour le commun des mortels, Boimondau fut une trouvaille de génie. Pour moi, Boimondau ne fut que la traduction dans les faits, dans des circonstances données, sur un plan donné, avec des hommes donnés, de toute une idéologie.

Faire des Hommes Libres, c’est d’abord faire un être ayant une conscience intellectuelle et morale qui puisse être capable d’étudier et de contrôler son comportement. Développons cela chez nos enfants et nos organisations, pour être fiers de nos accomplissements collectifs !

Partez à la découverte de Boimondau.

A propos de l'Auteur

La dernière fois qu’on m’a demandé « C'est quoi ton boulot ? » J’ai répondu : « Je mets de l'énergie pour montrer l'autre côté du fleuve, j'aide les gens à embarquer sur un canoë et à commencer à pagayer ensemble dans le même sens. Et quand ils ont pris le rythme, je vais m'occuper d'autres personnes. » Je me définis comme une agilitatrice apprenante car j’agite et j’agilise. Autrement dit, j’accompagne les organisations pour libérer le potentiel de chaque personne ; aider à mettre en place l’environnement propice à l’expression de chacun (confiance, contribution et développement des compétences). Elle est là, la source de mon inspiration et de ma motivation. Retrouvez-moi sur mon blog http://mijarabemananjara.me.

 

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