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La rémunération libre, ou comment mettre l’auto-organisation au cœur de l’entreprise

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Le rapport à l’argent est un fort vecteur de positionnement individuel et collectif, il modèle notre rapport à l’autre, au travail et à l’entreprise. Dans cet article, nous allons vous montrer comment, en laissant les salariés choisir leur rémunération, nous changeons en profondeur l’ADN de l’entreprise et des individus qui la composent.

Nous verrons en quoi cela implique de modifier la culture d’entreprise et les rapports de force que nous y trouvons. Comment cela modifie la place de l’individu et ses motivations. Enfin, nous vous proposerons un mode d’emploi concret de rémunération libre en entreprise.

Ce que sous-tend la rémunération libre dans l’organisation

Par rémunération libre, nous entendons une rémunération choisie par les salariés. Cela implique des changements de paradigme tels que “Qui détient le savoir ?”, “Quelle part de responsabilité individuelle ?” ou encore “Quelle est notre relation à l’autre ?”

Dans le système de rémunération habituel, nous avons un fonctionnement hiérarchique avec une décision centralisée de la politique salariale. Cela implique peu de marge de négociation au niveau de l’individu, ainsi qu’une absence de discussion entre les individus de même niveau hiérarchique sur les questions liées au salaire. Et ne nous en cachons pas, les questions liées à l’argent, d’une manière générale, restent relativement tabou au sein de nos entreprises. Cela a plusieurs effets pervers : d’abord l’entretien d’un rapport de force entre les individus, une culture de l’opacité, et enfin une déresponsabilisation de chacun face aux questions financières.

Ainsi, nous le comprenons, la rémunération libre oblige au décloisonnement des savoirs et en particulier à la transparence sur tous les aspects financiers de l’entreprise. Et ce, afin d’amener les individus à prendre part aux décisions concernant la distribution des richesses de l’entreprise, et donc aux risques de cette dernière. Nous reviendrons plus tard sur ce deuxième point.

Cette modification des rapports de force marque profondément le fonctionnement d’une entreprise, qui par le simple fait de devoir jouer de plus de transparence et de responsabilité individuelle, tend vers l’auto-organisation, avec tout ce qu’elle implique de modification de la culture d’entreprise. Il n’est plus alors question pour un petit nombre de fonctionner de manière oligarchique sans risquer de devoir faire face à des individus centrés uniquement sur leurs profits personnels inversant de fait le rapport de force : il n’est pas possible de choisir raisonnablement sans connaissance systémique. Il devient alors évident que la rémunération libre, demande de revisiter l’organisation même de l’entreprise, ses structures décisionnelles, ainsi que l’accès à la connaissance.

L’individu transformé dans une entreprise revisitée

La rémunération libre n’implique pas seulement un changement pour l’entreprise. L’individu lui-même, à son échelle, ne peut plus se soustraire à une réflexion sur le fonctionnement global de l’entreprise. En tant qu’acteur du système, il doit comprendre le rôle et le fonctionnement de la rémunération. Sorti de la position passive que lui permet le modèle habituel, il est amené à prendre sa part de responsabilité dans la distribution des risques et des richesses, et choisir son salaire en fonction. La transparence augmente le sentiment de responsabilité, le salaire n’est plus une simple question de pouvoir de négociation avec ses supérieurs, mais un choix dont nous devons répondre devant nos pairs. Il devient de notre intérêt individuel de faire en sorte que l’ensemble soit juste pour tous, et viable pour l’entreprise.

De même, les personnes ayant un pouvoir d’investissement, devront également prendre en compte la transparence dans leur décision et faire en sorte que les décisions prises semblent justes et valables pour l’ensemble de l’entreprise. Les différents acteurs dépendant de la volonté du bien commun pour pouvoir garder leurs prérogatives, l’abus des uns risque d’être sanctionné par les autres lors de la redistribution suivante des richesses. Nous faisons ici appel à la pression sociale, comme élément positif, moteur et régulateur.

Dans le modèle que nous proposons, cette responsabilisation individuelle, qui se traduit entre autre par une motivation du bien commun, est amplifiée par la possibilité qui est offerte à tous les acteurs de l’entreprise. En effet, tous sont invités à partager non seulement les richesses, mais aussi les risques de l’entreprise par une stratégie d’investissement d’une partie de la rémunération dans le projet qu’ils contribuent à faire fonctionner. Nous allons vous présenter maintenant la manière dont nous envisageons une rémunération libre, vecteur d’émancipation, de motivation et de responsabilisation individuelles et collectives.

Description de la rémunération libre

Le système de rémunération libre proposé ici s’appuie sur 3 composantes :

  1. La rémunération fixe
  2. La part variable
  3. La redistribution des bénéfices

La rémunération fixe

La rémunération fixe est définie par chaque salarié. Il se base sur une grille de rémunérations définie de manière commune par l’ensemble des salariés, en fonction des contraintes financières de l’entreprise et de leur vision de la rémunération.

La rémunération globale doit être :

  • Cohérente avec le marché du travail
  • Compatible avec les besoins de trésorerie et d’investissement de l’entreprise
  • Compatible avec les besoins du salarié pour vivre sans se poser de questions

Ci-dessous une proposition de grille de rémunérations à modifier par l’ensemble des salariés :

La grille de rémunération peut-être étayée d’exemples permettant d’expliciter la vision commune de ce à quoi correspondent les différents niveaux de rémunération (niveau d’expertise, de complexité, de pénibilité etc.).

Cela permet de vérifier par des exemples concrets que l’ensemble des salariés partage bien une même réalité de chaque niveau de rémunération. Ensuite cela sera une aide pour que chacun puisse se situer plus facilement dans la grille de rémunération et choisir un niveau qu’il estime juste pour lui et pour l’entreprise.

Enfin, toujours dans la même dynamique, la grille de rémunération, ainsi que le positionnement de chaque salarié dans cette grille doit répondre au principe de transparence.

La part variable

Le salarié peut choisir de rendre variable une partie de sa rémunération fixe. Cette part variable est choisie par le salarié en même temps que le choix de la rémunération fixe. Cela démontre une volonté individuelle d’investir dans l’entreprise, permettant ainsi à celle-ci de disposer de plus de liquidités.

Concrètement, la part variable sera versée au salarié à la clôture des comptes, si le bilan comptable de l’entreprise le permet. Lors de la redistribution des bénéfices en fin d’exercice, les personnes qui ont fait le choix de cette prise de risque sont “remboursées” en priorité ; ce “prêt” à l’entreprise est bonifié par un coefficient multiplicateur défini par l’ensemble des salariés. Dans le cas où les bénéfices de l’entreprise ne permettent pas de couvrir les variables volontaires bonifiées, une répartition sera faite au prorata de la part de rémunération “prêtée” par le salarié à l’entreprise.

La redistribution des bénéfices

En fin d’exercice, l’entreprise définit, explique et publie la répartition des bénéfices de l’entreprise entre :

  • Les investissements
  • La trésorerie
  • La rémunération du capital
  • La redistribution des bénéfices.

La redistribution des bénéfices est faite au prorata temporis annuel des salariés, sous une forme compatible avec la législation et la fiscalité.

Exemple

Ci-après le mécanisme global présenté via un exemple fictif.

Amélie, Dylan et Rémy ont tous les 3 choisi leur rémunération dans la grille. Léa arrive en cours d’année (juillet), sa rémunération est négociée dans la grille.

Amélie a choisi de ne recevoir tous les mois que 60% de sa rémunération en rémunération fixe.

Dylan a un plus grand besoin de liquidité dans son couple, il vient d’avoir un bébé. Il a donc choisi de prendre 80% de sa rémunération en rémunération fixe.

Rémy a fait le choix de ne recevoir que 50% de sa rémunération en rémunération fixe.

Ils laissent le reste dans l’entreprise pour en partager les risques.

Léa a été embauchée en milieu d’année, elle n’a donc pas de variable (nous décidons de laisser une période d’adaptation au cours de laquelle nous ne pouvons pas choisir de part variable.

C’est la fin de l’année, le moment de faire le bilan financier. La société a fait une très bonne année, elle peut donc verser à nos 4 amis la totalité de leur part variable.

Part variable, accompagnée de la bonification correspondante, calculée en utilisant le coefficient multiplicateur décidé par l’ensemble des salariés.

Les résultats sont tellement bons, qu’il reste de quoi verser une redistribution des bénéfices à tous les salariés. Léa n’étant là que depuis 6 mois, elle n’a que la moitié de cette participation.

Au final, voici les rémunérations annuelles de nos quatre amis.

Perspectives et évolutions

Nous venons de le voir, la rémunération, loin d’être un élément anodin de la vie de l’entreprise, peut être un outil puissant de transformation. Que nous l’étudions du point de vue de la direction, ou de l’employé, nous voyons à quel point cela impacte l’émancipation de chacun, mais aussi la responsabilisation de l’ensemble des acteurs.

Cette approche, nouvelle et innovante, permet de poser la première pierre d’une nouvelle organisation qui ouvre sur de nombreux possibles pour peu que le haut de la pyramide ait confiance en l’intelligence collective, et que le bas de cette dernière prenne à cœur d’entrer dans les méandres d’une organisation dans laquelle chacun doit pouvoir trouver sa place.

Comment faire évoluer l’existant, quelle place pour les métiers qui ont actuellement ces responsabilités, quels sont les forces et les faiblesses d’une organisation qui rend transparente sa gestion financière ? Autant de questions auxquelles les expérimentateurs devront trouver leurs propres réponses en fonction de leur écosystème entrepreneurial.

Nos sources d’inspiration

Michel Chaudy, Faire des hommes libres.

Jean-François Draperi, Godin, inventeur de l’économie sociale.

Daniel Pink, La vérité sur ce qui nous motive.

Gravity payments, salaire unique à 70k$.

La ligne de flottaison de Gore.

Robert Sutton, Objectif zéro sale con.

La politique salariale de Buffer et notamment sa transparence.

Jurgen Apello, Holacracy, Sociocracy, Wirearchy, Crowdocracy, whateverocracy….

FoodCoop et sa commission de discipline.

Peter Senge, La cinquième discipline.

Isaac Getz, Brian Carney, Liberté & cie.

Frédéric Laloux, Reinventing organizations.

Jean François Zobrist, La belle histoire de Favi : Nos belles histoires.

Jean François Zobrist, La belle histoire de Favi : Tome 2 Notre management et nos outils.

Shoji Shiba, Le management selon Shiba.

Azaé, partage des risques avec le principe de variable volontaire, dans un contexte de travailleur non-salariés.

Goood! comme inspiration de modalités de prises de recul et d’évolution du salarié.

A propos des Auteurs

Olivier Albiez est artisan logiciel et coach agile chez Azaé, passionné des méthodes de travail et de l’auto-organisation dans les entreprises. Curieux par nature, il est toujours à la recherche de ce qui peut améliorer le travail collectif d’une organisation. Il est récemment co-fondateur de Deliverous. Il est signataire des manifestes Artisans du Logiciel et Agile.

Thomas Clavier est coach agile chez Azaé, enseignant à l’université de Lille 1 et co-fondateur de Deliverous, ses sujets de prédilection sont l’agilité, devops, docker, le lean startup et l’artisanat logiciel. Depuis plus de 10 ans, il essaye de transformer le travail en un jeu, faire progresser les geeks et challenger les managers, poser des questions pour faire progresser les équipes.

Julie Quille est passionnée par l’être humain, la psychologie et la sociologie, elle accompagne les personnes et les équipes dans leur cheminement vers plus de responsabilité et de liberté individuelles. La Communication Bienveillante (CNV) est son outil de prédilection. Dans une dynamique d’amélioration continue, il lui tient à cœur d’élargir en permanence ses domaines de compétences, par des lectures, des recherches, des formations, mais surtout à travers des échanges et de l’expérimentation. Ce sont ses intérêts pour l’épanouissement au travail, l’adaptabilité et le travail collaboratif qui l’ont amené à l’agilité et au coaching d’équipes.

Mija Rabemananjara accompagne les organisations pour libérer le potentiel de chacune des personnes de l’organisation ; aider à mettre en place le cadre propice à l’expression de chacun dans la confiance, la contribution et le développement de ses compétences. Elle agit sur le changement culturel, le coaching d’équipe, le coaching de managers, la mise en place de communautés de pratiques, de sessions de partage, d’ateliers/formations sur des sujets variés (communication non violente, getting things done, facilitation d’ateliers, etc.).

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