Le Standish Group a publié récemment la nouvelle version du Rapport CHAOS. Le rapport CHAOS est publié annuellement depuis 1994 et présente un instantané de l'état de l'art du développement logiciel. Cette année, le rapport analyse 50 000 projets à travers le monde, de petites modifications à la mise en oeuvre de refontes globales. Cette année, le rapport inclut une définition augmentée de la réussite, prenant en considération des nouveaux facteurs.
Les résultats soulignent que le chemin est encore long avant d'atteindre des effets positifs dans les projets de développement logiciel. Le tableau suivant résume les résultats des projets au cours des cinq dernières années en utilisant la nouvelle définition de la réussite (dans les temps et le budget avec un résultat satisfaisant).
La tendance qui se confirme est la meilleure probabilité de réussite des petits projets par rapport aux gros, comme le montre le tableau suivant.
Avec l'envol des méthodes de développement agile ces dernières années, il a été possible de comparer les résultats des projets entre projets classiques et agiles. Ces approches agiles performent mieux que les cycles en cascade quelque soit la taille du projet, et échouent plus rarement, comme le montre le tableau ci-après.
Une part importante de l'analyse du Standish Group durant les 21 années de publication a été l'identification et le classement des facteurs clés de réussite d'un projet. Les résultats de cette année présentent la liste ordonnée de facteurs suivants :
Les définitions de ces facteurs sont :
Executive Support (Sponsorship - NdT) implique qu'un dirigeant ou groupe de dirigeants accepte de porter financièrement et émotionnellement le projet. Le ou les dirigeants encourage et accompagne l'accomplissement du projet.
Emotional Maturity (Maturité émotionnelle - NdT) est l'ensemble des comportements permettant de travailler en équipe. Dans tout groupe, organisation ou entreprise, ce niveau de maturité émotionnelle est à la fois la somme de toutes les compétences et le lien le plus faible.
User Involvement (Engagement de l'utilisateur - NdT) a lieu quand les utilisateurs sont engagés dans les processus de décisions et de collectes d'informations du projet. Cela passe également par du feedback, des revues de demandes, de la recherche classique, du prototypage, et autres outils de construction de consensus.
Optimization est une manière structurée d'améliorer l'efficacité métier et d'optimiser un ensemble de petits projets ou de demandes importantes. L'optimisation commence avec la gestion du périmètre d'après les valeurs métier relatives.
Skilled Staff (Personnel compétent - NdT) sont les personnes comprenant à la fois le métier et la technologie. La compétence donne une forte capacité dans la réalisation des demandes du projet et la livraison du projet ou produit.
SAME est le "Standard Architectural Management Environment". Le Standish Group définit le SAME comme un groupe cohérent et intégré de pratiques, services et de produits permettant de développer, implémenter et opérer une application.
Agile Proficiency (Connaissance - NdT) signifie que l'équipe et le product owner maîtrisent l'agilité. La connaissance agile est ce qui fait la différence entre de bons résultats avec l'agile et de mauvais.
Modest Execution (Réalisation frugale - NdT) implique d'avoir un processus avec peu d'encours automatisés et fluides. La réalisation frugale passe aussi par une gestion de projet parcimonieuse et avec seulement quelques fonctionnalités.
Project Management Expertise est l'usage de connaissances, compétences et techniques aux activités de projet pour atteindre ou dépasser les attentes des parties prenantes et produire de la valeur pour l'organisation.
Clear Business Objectives (Objectifs métier clairs) est la compréhension des attentes par toutes les parties prenantes et participants dans le projet. Des objectifs métier clairs peuvent aussi signifier un alignement sur les enjeux et la stratégie de l'entreprise.
InfoQ s'est entretenu avec Jennifer Lynch du Standish Group sur les résultats de l'étude :
InfoQ : Il y a une véritable différence dans la définition de la réussite d'un projet du rapport de cette année, avec maintenant six facteurs pris en compte dans l'analyse globale (dans le délai, budget, cible, atteinte de l'ojectif, valeur et satisfaction). Pourquoi avoir ajouté ces facteurs complémentaires et comment influencent-ils la compréhension des résultats d'un projet ?
Jennifer : La nouvelle définition du Standish Group de la réussite d'un projet est dans le délai et dans le budget avec un résultat satisfaisant. Le succès est difficile à définir et nous avons eu des difficultés à atteindre cette conclusion. Le Merriam-Webster (l'équivalent du Petit Robert ou du Larousse - NdT) définit le succès comme le fait d'obtenir ou d'atteindre la richesse, le respect ou la renommé ; le résultat convenable ou désiré d'une tentative ; quelqu'un ou quelque chose de réussi ; une personne ou une chose qui a réussi. Le Project Management Institute (PMI) définit le succès comme dans les délais, dans le budget et dans le périmètre, aussi connu sous le nom de triple contrainte ou de triangle de fer. Cependant, nous avons observé de nombreux projets répondant à la triple contrainte et ne proposant pas de valeur à l'organisation ou ne satisfaisant pas les utilisateurs ou les sponsors.
Vous trouverez plus de détails dans ce billet expliquant la logique de ce changement.
InfoQ : En lisant le rapport, il semble que pour maximiser les chances de réussite d'un projet, il est préférable d'acheter un produit sur étagère ou de moderniser des systèmes existants. Comment expliqueriez-vous cela ? Cela implique-t-il que l'effervescence autour des pratiques agiles ou du lean startup n'est pas justifiée ?
Jennifer : Les deux aspects ne sont pas exclusifs, et vous pouvez utiliser des méthodes agiles pour moderniser ou déployer un package. En fait, notre base de données présente ce type de projet.
InfoQ : Les résultats incluent un index de complexité. Comment la complexité impacte-t-elle la réussite d'un projet ?
Jennifer : Le tableau suivant est une matrice complexité / taille. En bref, plus la complexité et la taille sont importantes, plus le risque d'échec est fort.
InfoQ : L'usage d'une approche agile aide-t-elle à dépasser la complexité et pour quelles raisons le permettrait-elle ?
Jennifer : Elle le permet en se trompant plus tôt et en recommençant plus vite (fail fast - NdT).
InfoQ : Un des facteurs de réussite est un haut niveau de “emotional maturity skills” (compétence en "maturité émotionnelle" - NdT). Pourriez-vous nous expliquer ce qu'elles sont et la manière dont elles transparaissent dans les différentes zones géographiques ?
Jennifer : Les compétences en maturité émotionnelle sont aussi appelées soft skills (Compétences douces - NdT). Elles reprennent les cinq pêchés capitaux de la gestion de projet, la gestion des attentes, la construction du consensus et la collaboration. Nous avons identifié 50 compétences et les avons testées partout dans le monde. Nous voyons une corrélation forte entre un faible niveau de compétences émotionnelles et un faible taux de réussite. Nous proposons de nombreuses formations sur ce sujet. Par exemple, le reporting low cost, estimation/benchmark et ateliers.
InfoQ : Un autre facteur de réussite est le niveau de compétences des membres de l'équipe. Est-ce que les organisations investissent suffisamment dans leur personnel ?
Jennifer : Non, il y a un vrai déficit. Déplacer les investissements d'outils de gestion de projet et autres activités inutiles devrait améliorer le succès et le taux de réussite. Tout le monde cherche la solution rapide, mais investir dans les personnes prend du temps et offre un bien meilleur retour à la fin.
InfoQ : Les résultats indiquent que peu d'organisations définissent un Retour sur Investissement dans les besoins du projet. Comment les organisations définissent-elles une valeur sans ROI en amont ?
Jennifer : Développer un ROI est difficile et coûteux. Nous suggérons d'utiliser notre "Optimisation de Portefeuille par la Valeur" et notre "Service de gestion". Les ROI sont définis avec des valeurs relatives, utilisant une échelle de 1 à 5 pour catégoriser, puis optimiser les besoins.
InfoQ : Les chiffres sur la définition du but semblent contre-intuitifs, les projets ayant des objectifs précis étant moins réussis que ceux avec des objectifs plus flexibles. Est-ce que cela valide les hypothèses de Takeushi & Nonaka sur le processus d'acquisition du savoir (le sponsor/directeur donnant une définition du but suffisamment vague pour permettre l'appropriation par l'équipe) ?
Jennifer : Nous souscrivons complètement à l'hypothèse de Takeushi et Nonaka et allons plus loin. Seul ce qui n'est pas déterminé produit de la valeur. Avoir des objectifs précis signifie que vous savez déjà tout, ce qui est rarement le cas. L'IT essaye également de toujours s'aligner avec l'organisation. Cependant, comme le directeur Jim Johnson le disait, si l'IT et l'organisation sont alignés, l'un ou les deux ne vont pas assez vite.
InfoQ : La définition de l'agilité utilisée par le rapport prend-elle en compte les approches en temps continu comme le Kanban, les pratiques lean ou le Continuous Delivery ?
Jennifer : Nous les prenons en compte. Agile est un concept large pour nous, sans attache à une méthodologie particulière comme Scrum.
InfoQ : Le rapport se concentre sur les projets, alors que beaucoup d'organisations s'éloignent d'une vision projet pour s'orienter vers une activité produit avec des équipes stables. Comment cela se traduit-il dans vos résultats ?
Jennifer : Nous avons beaucoup d'adeptes du développement continu ou en flux. Nous pensons que c'est la bonne approche. Cependant, nos chiffres ne les prennent pas en considération car nous collectons des données sur des "profils" projet. Néanmoins, nous cherchons un moyen de saisir ces informations dans nos prochains rapports.
InfoQ : Quelles sont les prochaines échéances pour le Rapport Chaos ?
Jennifer : Le prochain Rapport CHAOS sera publié en Avril 2016.
InfoQ : Où les lecteurs d'InfoQ peuvent-ils trouver plus de détails sur le Standish Group et le Rapport Chaos ?
Jennifer : 4 sites internet sont disonibles pour plus d'information sur l'organisation :
A Propos des Auteurs
Stéphane Wojewoda travaille actuellement pour le Groupement des Mousquetaires. Passionné d'organisation il s'intéresse depuis plusieurs années à l'Agile et au Lean, et à transmettre ces idées.
Shane Hastie est Chief Knowledge Engineer pour Software Education (www.softed.com), une entreprise de formation et de consulting travaillant en Australie, Nouvelle Zélande et à travers le monde. Depuis sa première expérimentation avec XP en 2000, Shane est un ardent accompagnateur des organisations dans leur adoption des pratiques Agiles. Shane dirige le département Agilité au sein de Software Education, proposant des formations, des missions de conseils, du coaching et de l'accompagnement pour les organisations et équipes travaillant à l'amélioration des résultats projet. En 2011, Shane a été élu Directeur de l'Agile Alliance (www.agilealliance.org).