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Spirit déploie l'auto-organisation : retour d'expérience

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Mark Bent est Président de Spirit Youth Care Amsterdam et Président du conseil de surveillance de Hartekampgroep.

Pablo Pernot connait Mark Bent depuis très longtemps. Leurs familles ont des liens très proches depuis plus de cinquante ans. Accompagné de Géraldine Legris, il a profité de cette opportunité pour l'interviewer dans le cadre d'articles destinés à InfoQ FR.

Géraldine & Pablo : Bonjour Mark. Pour commencer, pourrais-tu te présenter aux lecteurs d'InfoQ FR ?

Mark : J'ai travaillé comme président au comité de direction de Spirit, une organisation pour la jeunesse basée à Amsterdam. Nous avions environ 1 000 employés et un budget d'à peu près 80 millions d'euros par an. En 2013, nous avons opéré un grand changement dans notre organisation. L’organisation comptait à peu près une cinquantaine de managers répartis sur trois ou quatre niveaux hiérarchiques, et nous avons décidé de nous lancer dans l'auto-organisation : seulement deux niveaux de management ; le premier : un comité de direction avec trois directeurs et un président, et le second tous les employés.

Naturellement il y a aussi les coachs qui aident les employés (workers, les travailleurs) dans le nouveau système. Beaucoup d'organisations aux Pays-bas ont fait ce changement aujourd'hui. Certains pensent que ce système ne peut pas fonctionner, mais je crois au contraire que partout cela sera le système du futur.

Géraldine & Pablo : Qu'est-ce qui a été à l'origine de cette volonté de changer l'organisation ?

Mark : Il y a quatre ans, nous avons contacté des organisations qui ont opéré ce changement. Elles récoltaient beaucoup de succès : de très bons résultats (sur le plan financier aussi), un haut niveau de satisfaction des utilisateurs et des partenaires. Ces organisations étaient un bon exemple d’innovation.

Géraldine & Pablo : Nous nous interrogions sur le pourquoi et non sur le comment. Est-ce que l’organisation ne fonctionnait pas bien auparavant ?

Mark : Ce n’était pas que l’organisation ne fonctionnait pas bien. C’était une volonté d’aller encore mieux. Il y avait besoin de réductions financières, mais ces réductions pouvaient se réaliser différemment (NdT : sous-entendu que de simples coupes financières). Et aux Pays-Bas, il y avait et il y a toujours, un fort mouvement pour donner à nos clients et à nos employés plus d’engagement et d’autonomie (own strength). La responsabilisation peut rendre les gens heureux !

Géraldine & Pablo : Combien de personnes ont été impliquées dans le "changement" ? Combien de temps cela a-t-il pris ? Peux-tu décrire quels ont été les changements les plus significatifs ?

Mark : Le changement a pris autour de deux années. La première année a consisté en un petit pilote sur un département (à peu près cinq personnes). Après six mois d'évaluation du pilote, les travailleurs étaient enthousiastes et les résultats étaient bons. Mais le pilote a aussi montré qu'une entité auto-organisée ne pouvait pas fonctionner au sein d'une organisation qui ne l'est pas. Le message était alors clair : si vous êtes enthousiastes à propos de ce nouveau système, vous devez changer toute l'organisation, et d'un seul coup, pas morceau par morceau. Nous avons alors organisé des réunions et des formations avec des travailleurs d'organisations qui avaient déjà conduit ce changement.

Nos travailleurs ont aussi été visiter ces organisations. Nous avons ratissé large pour penser notre nouveau système d'organisation. Il a aussi été très important que le conseil d'administration valide ce changement. Nous avons été chanceux car une majorité a été positive sur ce nouveau système et le conseil a validé notre proposition. Nous avons donc conçu un nouveau modèle d'organisation sans managers. Le nouveau système supposait que les travailleurs étaient auto-organisés. Naturellement nous avions aussi besoin de réfléchir à nos objectifs et comment les suivre, comment les outiller. Et aussi de formateurs et de coachs.

Puis nous avons viré cinquante managers ! Cela a été très spécial car la plupart d'entre eux n'ont pas protesté, eux-mêmes croyaient dans le nouveau système. Une partie d'entre eux a pu postuler pour les postes de coach (mais tous les managers ne sont pas nécessairement de bons coachs). Cette partie de l'opération a pris six mois. Et puis d'un jour à l'autre, nous avons basculé ! Et depuis ce jour, l'organisation existe toujours et est toujours aussi excitée (cela fait quatre ans maintenant).

Dans le passé, je ne croyais pas vraiment à l'auto-organisation (pour moi "chaque travailleur a besoin d'un meneur", "every worker needs a leader"), mais en parlant avec les travailleurs j'ai changé d'avis. Cela leur a donné des forces et du plaisir et ils ont atteint de meilleurs résultats ! Mais là encore naturellement ce n'est pas si facile, tout le monde n'est pas fait pour travailler ainsi.

Géraldine & Pablo : Tout le monde n'est pas fait pour travailler ainsi ? As-tu des éléments qui permettent de savoir qui va bien se sentir dans ce système ou non ?

Mark : Il y a deux qualités. D'abord une affinité avec le système. Tu dois croire en l'auto-organisation. Ensuite une capacité à être auto-organisé, tu dois en avoir les compétences.

Ce n'est pas que pour les personnes ayant fait des études supérieures, c'est pour tout type de travailleurs, dans les ateliers, dans les usines. Principalement, une forme de sélection naturelle s'opère juste avant ou juste après le changement. Les gens qui ne sont pas en phase avec le système le quittent, et de nouvelles personnes qui au contraire veulent travailler dans ce système et votre organisation postulent, c'est très positif.

Je pense que les gens travaillent dur dans ce système, mais il leur donne des responsabilités, de la satisfaction et de la joie !

Géraldine & Pablo : Nous nous demandons jusqu'où cela est possible en France. La culture est très différente. Les lois du travail aussi.

Mark : Pourquoi pas en France ? Je me demande s’il y a des organisations ou des entreprises qui se sont lancées dans l'auto-organisation en France. La plupart des organisations qui ont opté pour cela aux Pays-Bas sont toujours très enthousiastes. Naturellement le système n'est pas parfait. La difficulté c'est toujours comment agir avec les personnes "dysfonctionnelles".

Dans les systèmes auto-organisés, c'est d'abord une responsabilité d'équipe. Ils doivent se donner du feedback entre eux. Les meilleures équipes savent le faire, savent s'entraider, et quand cela ne fonctionne pas savent prendre acte, en tirer les leçons. Le travail d'équipe et une bonne allocation du temps sont essentiels. Il y a des personnes avec de l'expérience dans les équipes (mais pas de lien de hiérarchie) qui sont importantes. Il y a des coachs et des spécialistes dans l'organisation. La plupart de nos objectifs sont des objectifs d'équipe.

Géraldine & Pablo : Comment est-ce que l'information circule entre les équipes ?

Mark : Nous utilisons un très bon réseau social d’entreprise, et il y a beaucoup d’échanges entre les travailleurs. Il y a aussi des réunions d’étude. Et aussi des réunions par thème (team task responsabilities), par exemple : finance, RH, etc.).

Géraldine & Pablo : Comment est-ce que les équipes se font du feedback (entre les membres de l’équipe) ?

Mark : Il y a des évaluations au sein de l’équipe. Chaque membre de l’équipe doit donner du feedback à ses co-équipiers, et ils doivent s’entre-aider. Quand cela devient difficile, ils peuvent s’appuyer sur un coach pour les aider. Si l’un d’eux est malade, ils savent qui joindre. Si cela devient problématique, ils peuvent demander l’aide d’un membre de l’équipe RH. Ils sélectionnent eux-mêmes les nouveaux membres de l’équipe. L’équipe RH les a formés à cela. Quand un travailleur ne fonctionne pas bien et qu’il n’y a pas d’améliorations qui marchent, ils peuvent demander aux responsables de prendre une décision.

Géraldine & Pablo : Est-ce que l'organisation évolue ? Comment ?

Mark : Il y a toujours des ajustements. J’ai pu vivre cette expérience dans deux organisations : la première était l’organisation de la santé pour la jeunesse à Amsterdam (j’en étais le directeur), et aujourd’hui dans une organisation pour personnes avec un handicap mental (où je suis Président du conseil de surveillance).

Ces deux organisations ont fait ce changement, mais avec des différences : les travailleurs de la santé pour la jeunesse sont plus éduqués, ont fait des études plus longues, dans cette organisation (Spirit), nous avons choisi d’avoir uniquement cinq directeurs, et beaucoup d’administratifs (policy workers) dans des secteurs spécifiques. Dans l’autre organisation (Hartekampgroep), ils ont décidé d’avoir une grosse équipe de managers (dix-huit personnes) et moins d’administratifs.

Il y a donc de nombreux modèles. La chose la plus importante c’est le changement de mentalité. Et une chose est sûre : il n’y a pas de retour en arrière !

Quelques liens

Spirit

Hartekampgroep

A propos des Auteurs

Géraldine Legris est coach agile. Elle intervient chez des clients qui ont besoin d’aide pour questionner et améliorer leur façon de travailler. Elle les invite à faire différemment. Ses interlocuteurs sont les équipes, mais aussi les managers et l’organisation toute entière. Elle travaille en équipe, avec l’ensemble des coachs organisationnels et techniques de SOAT. Et elle consigne une grande partie de ses réflexions dans un blog : theobserverself.com.

Pablo Pernot : Après une maîtrise sur les Monty Python, un DEA sur le non-sens et l’absurde, l’entame d’un doctorat sur les comiques cinématographiques, il paraît normal que Pablo se soit lancé dans le management organisationnel et la conduite du changement, c’est -finalement- une suite logique. Actuellement coach holistique chez beNext. Son blog :areyouagile.com.

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