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Auto-organisation chez Spirit : point de vue d'un salarié

Suite à l’interview de Mark Bent, président de Spirit Youth Care Amsterdam, nous avons souhaité enrichir la rencontre par le point de vue d’un salarié dans cette même organisation. Il s’agit de Folkert Borstlap, Spirit jeugd maatschappelijk werk (“Spirit”, “travail social pour la jeunesse”).

Géraldine et Pablo : Bonjour Folkert. Nous avions eu une conversation avec Mark Bent au sujet de la transformation de Spirit, il y a environ 5 ans. Nous aimerions avoir votre point de vue au sujet de cette transformation.

Folkert : J’étais présent au début de cette transformation. A cette époque, je faisais aussi partie d’un syndicat et j’étais impliqué de façon enthousiaste dans ce projet. En tant que salariés, nous approuvions cette démarche et y voyions de nombreux aspects positifs : la possibilité de faire des économies, la disparition des managers, et des salariés plus performants. Plus performants : tout simplement parce que lorsque vous avez un manager, vous êtes toujours dans l’attente que ce soit lui qui fasse les choses, qui les approuve, qui définisse les tâches à réaliser pour atteindre tel objectif. Et ce n’est pas logique quand on sait que la plupart des salariés travaillent dans l’entreprise depuis de nombreuses années, ont l’habitude de travailler avec les familles, dans le système.

Géraldine et Pablo : Comment cette expérience a-t-elle commencé pour vous ? Le premier jour ? Les premières impressions ?

Folkert : Il y a eu plusieurs changements en même temps : auto-organisation, changements d’équipes. C’était un peu beaucoup. Aujourd’hui, après plusieurs années, nous voyons vraiment les bénéfices de ces changements. Comme expliqué plus haut, si une personne ne fait pas son travail correctement, ce n’est plus avec son manager qu’il en parle mais ses collègues de travail. Cela fait une grande différence.

Nous n’allons plus aller chercher le manager pour régler les problèmes. Nous devons nous débrouiller seuls et cela passe par des objectifs clairs, des redevabilités claires, des droits clairs. Cela ressert l’équipe.

Géraldine et Pablo : Cela peut aussi entraîner une pression entre pairs ? Qu’est-il arrivé aux personnes qui ont refusé le nouveau mode de fonctionnement ?

Folkert : Tout à fait. Au début, plusieurs phénomènes sont apparus : le nombre de congés maladie a augmenté. C’est normal quand soudainement vous avez beaucoup plus de responsabilités. Des salariés ont quitté l’entreprise car le nouveau fonctionnement ne leur convenait pas. D’autres ont dû faire de grands ajustements dans leur façon de travailler. Et d’autres sont devenus très enthousiastes grâce à la reconnaissance de leur travail, à leurs nouvelles responsabilités, à toutes les nouvelles possibilités, à la recherche de résultats.

Deux fois par an, mon patron vient voir notre équipe et nous passons en revue une liste de points : combien d’enfants avons-nous aidés, quelles ressources avons-nous utilisées, combien avons-nous dépensé. Il ne regarde pas vraiment comment nous avons travaillé mais le résultat obtenu.

Mais tous ces changements ont pris du temps, surtout dans un contexte au démarrage très marqué par la hiérarchie, où les gens n’étaient pas habitués à penser par eux-mêmes.

Géraldine et Pablo : Vous dites que cette transformation a pris du temps. Combien de temps pour une population de 1 000 personnes (taille de Spirit à cette époque) ?

Folkert : C’est difficile à dire parce que nous sommes une grosse société avec des gens qui travaillent à Amsterdam mais aussi dans d’autres régions. Et les projets sont très différents. Il y a les services sociaux à l’enfance, du bénévolat, des projets rémunérés, des projets autour des foyers… Et donc une grande variété de personnes au sein de l’organisation.

Pour moi, c’était plus facile car j’ai un travail assez solitaire. Je ne travaille pas avec une équipe qui s’occupe d’enfants 24h sur 24. C’est une grande différence. Quand vous travaillez dans une équipe, vous devez vous adapter aux autres. Certains sont motivés, d’autres moins.

Géraldine et Pablo : Avez-vous constaté des cycles dans la dynamique d’équipe ?

Folkert : Oui tout à fait, je le vois encore maintenant. Je pense à un groupe qui travaille pour un foyer d’enfants qui ne peuvent plus vivre à leur domicile. Ils sont huit dans ce groupe. Quand ils doivent prendre une décision importante, certains ont encore le réflexe de demander à leurs supérieurs. Mais nous n’avons plus de supérieurs. Ils doivent se débrouiller pour solutionner le problème.

Géraldine et Pablo : Est-ce que vous constatez des points négatifs à ce nouveau modèle d’auto-organisation ?

Folkert : Tout n’est pas rose. Nous travaillons sur un sujet difficile, dans lequel nous devons avancer avec des restrictions budgétaires. L’auto-organisation ne résout pas tous les problèmes.

Et nous devons désormais réaliser toutes les activités de recrutement, finance, qualité au sein de l’équipe sans budget ni temps supplémentaire. C’est un vrai challenge.

C’est très important que les tâches de chacun soient claires. Si vous avez un problème qui ne peut pas être résolu à l’intérieur de l’équipe, vous devez trouver un soutien capable de vous aider. Nous n’avons pas de managers mais nous avons des coachs. C’est le coach qui peut aider l’équipe dans pareille situation, si elle le demande. Mais les décisions prises sont toujours la responsabilité de l’équipe.

Géraldine et Pablo : Comment est-ce que la communication est gérée entre équipes ? Quand il y a une urgence, comment sont prévenues les équipes ? Comment faites-vous quand votre équipe a besoin d’une autre équipe ?

Folkert : Nous avons des réunions multi équipes. On se voit régulièrement. Et tous les salariés de Spirit sont dans la même communauté. Si vous avez une question, ou quelque chose à proposer, tout est là. N’importe qui peut poster une information. Il est facile de connecter les gens entre eux.

Géraldine et Pablo : Imaginez que je suis un membre d’une autre équipe mais que je désire rejoindre la votre. Est-ce facilement réalisable ?

Folkert : C’est la même chose que dans n’importe quelle entreprise. S’il y a un poste libre, vous pouvez postuler. La seule différence, c’est que vous ne rencontrerez pas le manager. Vous rencontrerez l’équipe. Et c’est elle qui décidera si vous la rejoignez ou non.

Géraldine et Pablo : Cette nouvelle forme de management interroge certaines personnes qui se demandent si elle profite plus aux patrons, aux sponsors, aux actionnaires, ou aux salariés ?

Folkert : Je dirais que cette nouvelle forme d’organisation profite un peu à tout le monde. Il n’y a pas que les conditions de travail qui sont meilleures. Nous faisons aussi des économies (moins de salariés). Donc il y a un intérêt financier bien sûr. Et la qualité du travail est meilleure car l’équipe est responsable de ce qu’elle produit. J’en suis un bon exemple. J’ai 15 ans d’expérience, je peux donc m’organiser comme bon me semble pour avoir les meilleurs résultats possibles. Je pense que cela bénéficie aussi aux clients. Nous avons aussi une organisation qui apprend.

Géraldine et Pablo : Est-ce que cela fait de Spirit, une entreprise plus attractive ?

Folkert : Oui, pour les types de personnes que nous souhaitons recruter.

Géraldine et Pablo : Est-ce que c’est désormais une forme d’organisation répandue en Hollande ? Ou est-ce encore à la marge ?

Folkert : Cette nouvelle forme d’organisation se répand depuis plusieurs années dans le domaine social. Nous sommes parmi les premiers à l’avoir testé. Cela nous met en visibilité en termes d’innovation, de conduite du changement, de recherche d’efficacité.

Géraldine et Pablo : Y-a-t-il une prochaine étape selon vous ?

Folkert : Oui ! Nous sommes dans une version 1.0 de notre organisation. Il y aura une version 2.0, 3.0… Nous nous demandons actuellement jusqu’où nous pourrions pousser le modèle. Par exemple, est-ce que cela aurait du sens d’être financièrement responsable ?

En 2018, le principal changement est que nous allons arrêter de définir des budgets : cet argent est fait pour le logement, celui-ci est fait pour l’accompagnement social... Par exemple, je soutiens pas mal de familles qui ont des soucis d’argent, des soucis avec leur propriétaire et qui risquent de perdre leur toit. Mon travail consiste à discuter avec elles du stress que cela génère. Nous pourrions aller jusqu’à utiliser mon salaire pour leur financer un toit. Si quelqu’un a besoin d’un travail, créer une entreprise pour lui en fournir. Les possibilités sont sans limite. Si les entreprises immobilières, les travailleurs sociaux, les organismes de crédit sont tous responsables de la même famille, cela pourrait donner des résultats bien différents.

Il y a un autre aspect que nous aimerions changer : aujourd’hui, c’est le juge qui dirige une personne dans le besoin vers l’un d’entre nous. Nous pourrions décider que c’est à la personne dans le besoin de décider de qui elle veut recevoir de l’aide via une sorte de facebook ou autres.

Encore un autre aspect que nous aimerions pousser : je travaille dans le domaine social avec d’autres collègues. Peut-être que ces personnes vont avoir une meilleure entente que moi avec les familles dans le besoin. Nous parlons de relations humaines : certaines connexions se font, d’autres pas. Peut-être que mon collègue peut être meilleur que moi ? Pourquoi ne pourrait-il pas faire mon travail ? Parce que ce n’est pas indiqué sur son CV ?

Géraldine et Pablo : Cela pourrait amener une forme de pression entre salariés ?

Folkert : C’est une idée intéressante de proposer aux personnes dans le besoin de choisir l’individu qui va leur apporter de l’aide. C’est la même chose dans votre famille : lorsque vous avez un souci, c’est vous qui décidez qui vous allez appeler. L’idée serait de laisser tomber la fiche de poste et de s’intéresser à qui aurait une vraie connexion avec cet enfant dans le besoin.

Géraldine et Pablo : Quel conseil donneriez-vous aux personnes qui démarrent ce type de changement dans leur organisation ?

Folkert : Si vous le faites, faites-le bien. Amenez le changement dans l’organisation tout entière, d’un seul coup. Cela va être un peu bordélique pendant un bon moment, mais c’est la seule façon de faire. Mais avant cela, il vous faut quelqu’un du top management (dans notre cas, il s’agit de notre directeur) qui inspire et donne confiance. Quelqu’un doit dire “oui, nous allons le faire !”. Et peu importe vos doutes, cela se passera bien si vous êtes soutenu par le top management.

Je vois pas mal d’autres organisations qui tentent la même expérience. Mais si vous avez un patron nouveau, qui n’inspire pas confiance, les gens vont faire un pas en arrière. Acceptez que ce soit un peu le chaos au début. Parce que tout le monde va devoir s’adapter au nouveau fonctionnement.

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