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Romain Couturier et la Facilitation Graphique

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1. Bonjour Romain, pour commencer, qui es-tu et d'où viens-tu ?

Je suis un ancien développeur, j'ai démarré il y a 10 ans. En 2003, j'ai fait du developpement chez un éditeur logiciel. Après, je suis parti à l'étranger pendant 2 ans. J'ai eu la possibilité dans une startup de prendre la direction technique. J'avais une équipe de 1, que j'ai fait grandir. Je faisais du code, de l'administration système, la gestion du marketing... tout en fait. Jusqu'au jour où je me suis retrouvé un peu pris dans mon propre piège. C'était moi le goulot d'étranglement, donc il a fallu changer les choses. Et là, j'ai eu la chance de tomber sur l'agilité en 2007, tout a changé. Je suis revenu en France en société de services, je faisais de la gestion de projet, j'avais de l'agilité à proposer donc j'ai continué à faire de l'agilité dans les projets, bon an mal an. Puis à un moment donné, j'ai déménagé de Paris, je suis allé sur Lyon, j'ai découvert des communautés, je commençais à accompagner d'autres projets en Agile, donc j'ai eu envie d'accompagner encore plus d'équipes, de partager, d'apprendre aussi.

   

2. Et donc tu es ici, à Lean Kanban France, pour deux activités on va dire, puisque deux sessions ?

C'est ça. Je viens proposer un retour d'expérience d'un an et demi de mise en place de Kanban dans différents environnements, des toutes petites boîtes, des plus grosses, des équipes avec des contraintes très particulières. Qu'est-ce qu'a fait découvrir Kanban, comment la mise en place de cette méthode les a vraiment aidées, qu'est-ce qu'a pu changer. C'est vraiment du partage terrain. Et puis je viens aussi pour faire découvrir ce qu'est la facilitation graphique, puisque je viens croquer différentes keynotes pendant ces 2 jours.

   

3. C'est d'ailleurs le sujet de cette interview, puisqu'on aimerait bien comprendre un peu plus ce qui se cache derrière ce terme. Comment as-tu découvert cette facilitation graphique ?

Je l'ai découverte en 2012 à Agile Grenoble. J'ai vu un facilitateur graphique, Nicolas Gros, qui pendant une journée a représenté sur une fresque géante les 50 sessions qui se sont déroulées. Et ça m'a vraiment chatouiller de comprendre quelle était la démarche et en même temps, j'étais assez captivé par le résultat. Donc après Agile Grenoble, je me suis connecté, j'ai regardé, et dès que j'ai pu faire sa formation, je l'ai suivie. 6 mois plus tard, j'ai toutes les lumières qui se sont allumées et ça a vraiment répondu à tout ce que j'attendais.

   

4. Cela ressemble à un écosystème. Et derrière, tu as découvert beaucoup de gens qui en font, comment ça se passe ?

J'ai découvert que ça touche un univers extrêmement large, il y a des gens qui viennent du graphisme, des designers, des gens qui viennent des cartes heuristiques. J'ai découvert d'autres façons de réfléchir, de penser, d'être à l'écoute de ce qu'on nous dit au quotidien. Et j'ai découvert comment écouter des gens, des groupes, des gens qui ont des bonnes idées, d'autres des moins bonnes. Voilà, ça a été une vraie révélation.

   

5. Et dans quels contextes tu as pu l'appliquer ?

Tout le temps ! Je l'ai fait le lendemain de ma formation vu que je suis à mon compte. J'ai essayé de faire une vente avec un client tout de suite, en lui faisant un dessin sur un bout de papier. Ca n'a pas marché parce que je n'étais pas encore au niveau. Mais après, j'ai continué à l'utiliser et à découvrir des cas d'usage, notamment dans toutes mes séances de coaching, avec les responsables métier, les équipes de dev pour les aider à modéliser des architectures, avec des managers avec qui j'avais du mal à instaurer un dialogue, vraiment en tant que support de la conversation.

   

6. Quelques exemples ?

Par exemple, démarrage d'un projet dans une administration publique. En fait, c'est un deuxième démarrage, le projet est lancé depuis 2 ans mais il y a eu pas mal de rotations d'effectif, donc on refait un démarrage projet et on essaie un petit peu de reclarifier les frontières de responsabilité des uns et des autres. Moi, j'ai besoin d'absorber du contexte pour savoir ce qui se passe pour mieux me situer et pour savoir quelles actions je vais pouvoir mener. Et le kick-off qui devait durer 1 heure et être une simple formalité a duré en fait toute l'après-midi, puisqu'on a passé à peu près 2 heures sur la définition d'un organigramme en montrant les zones de responsabilité. Ils avaient un tableau de responsabilité, mais là on le mettait en visuel. Il y a des gens qui se sont exprimés qui n'avaient jamais pris la parole jusqu'à présent, il y a eu pas mal de tensions qui se sont libérées, il y a eu des moments assez durs. Mais au final c'était assez sain puisque tout le monde a pu partager la même vision de l'information, et ça c'était chouette.

   

7. Et par la facilitation graphique ?

Par le fait qu'ils voient en temps réel ce qu'ils sont en train de dire, sans dénaturer l'information, sans analyse, sans filtrage. Moi, je ne suis qu'un média, un moyen, je me fais mirroir de ce qu'ils sont en train de dire, et c'est eux qui donnent l'information. Je les aide à voir quelle est la connexion entre ces différentes informations, et c'est là qu'il y a des petites étincelles qui apparaissent, justement parce qu'ils ont une vision d'ensemble partagée. Et souvent, malheureusement, c'est la première fois que tout le monde partage la même vision du système. Et heureusement pour eux, ça arrive et après ils en redemandent.

   

8. C'est plus fort que de la description textuelle ?

Oui, ça va beaucoup plus loin car cela permet de créer des réactions. En fait, je m'aperçois que dans les réunions, les ateliers, il y a pleins de gens qui ont l'impression de comprendre l'information et en fait, qui en ont une analyse différente de l'intention de la personne qui émet cette information. Ou à l'inverse, il y a des gens aujourd'hui qui sont tellement dégoutés du verbal qu'ils se mettent directement en position déconnexion, càd qu'ils écoutent (vite fait), mais finalement ça n'imprime pas. Le visuel, c'est aussi une qualité qu'on a tous ancrée chez nous. On a tous démarré en étant gamin, à dessiner la maison avec papa, maman, la voiture, le chien, et à raconter des histoires. Et en fait, cela permet à des personnes de se raconter des histoires entre eux, des histoires de leur environnement professionnel.

   

9. Ce que je sentais, c'est que sur le texte, il y a beaucoup plus d'interprétation que sur le dessin. Est-ce que tu as de tels exemples, des dessins qui ont permis d'éviter des interprétations différentes de texte ?

Oui. Sur un atelier que j'ai fait en juin 2014 dans un grand groupe, il y avait une quarantaine de personnes, la DSI et l'exploitant, et 2 jours d'atelier sur "Comment on organise notre travail entre le développement et la partie exploitation ?". L'objectif de cet atelier était de faire une retranscription après à une dizaine de managers pour expliquer la feuille de route, il y avait un livrable à produire, il fallait qu'il n'y ait pas d'ambiguïté sur le sens et la nature des conclusions. On a construit une fresque géante de 3x3m, il y avait un seul but et 2 voies pour l'atteindre : l'autoroute et la montagne. La montagne avait ses avantages mais aussi des gros inconvénients, le chemin était sinueux. Et il y avait l'autoroute, ça allait tout droit, par contre il y avait un péage à l'entrée et il avait un coût. L'idée était donc bien que ces réflexions soient transmises sans équivoque aux managers. Cela a aussi permis de faire une présentation à 10 personnes - avec beaucoup de symboliques, de choses, de mots, de concepts - la présentation a duré 45 minutes et à la fin, il y a eu des échanges, les managers se sont levés et ont pointé du doigt et ont posé des questions sur la fresque. Là, c'était gagné.

   

10. Tu es aujourd'hui en train de faire des fresques session par session. C'est quoi faire une fresque d'une session, comment ça se passe ?

Ce que j'ai décrit jusqu'à présent, c'était de la facilitation graphique, le graphique qui facilite les intéractions. Ce que je fais en conférence, c'est de l'enregistrement graphique. C'est comme lorsque l'on enregistre, mais au lieu d'avoir une bande son, on a une bande visuelle. Donc, je fais des synthèses visuelles, ce sont des petits cadeaux qu'on laisse aux participants. Les sessions sont de grande qualité, les speakers parlent de beaucoup de choses, avec des concepts très larges, beaucoup d'informations. Moi, je sais que quand je vais à une conférence, c'est compliqué de digérer le tout. Et se reposer à posteriori sur un dessin va permettre de repenser un petit peu à tout ce qui s'est dit. Donc ça, c'est de l'enregistrement graphique, le niveau d'intéraction est assez faible puisque personne ne contribue à la fresque, c'est moi qui suis en écoute totale de l'orateur qui est en train de parler.

   

11. Il y a différents types de fresque, différentes structures à l'intérieur ?

Ca va dépendre de l'orateur. Puisque je suis mirroir, si l'orateur a envie de raconter une histoire, je vais peut être plus me caler sur une ligne de temps. S'il est un peu anarchique, chaotique, effectivement la fresque va aussi refléter ceci. On le voit notamment souvent sur des sessions qui sont des énumérations, des collections d'idées sans forcément de lien entre elles. Il y a aussi d'autres catégories d'orateurs qui vont utiliser des images extrêmement puissantes pour appuyer leurs propos, par exemple la croissance, l'agrandissement, l'esprit d'équipe, ce sont des concepts qui sont assez récurrents mais qui vont aussi permettre d'appuyer le discours et le poids des mots. Donc on travaille vraiment sur ces métaphores et le story telling. Pour moi, tous les orateurs qui travaillent sur le story telling, c'est du pain bénit, c'est beaucoup plus simple et après évidemment, visuellement, c'est beaucoup plus facile à reprendre.

   

12. As-tu des retours d'orateurs par rapport à ce que tu leur a rendu ?

J'en ai eu de tout type. Par exemple, on m'a dit "Maintenant que je vois ce que tu as fait, je vais retravailler mon jeu de slides et mon discours", parce que effectivement c'était compliqué à retranscrire. Il n'y a pas longtemps, à Bordeaux, j'ai mal compris un mot (vu que je suis dans l'écoute). C'était un acronyme qui au niveau du slide s'écrivait "ESIE", et moins j'ai écrit "EASIE". Le fait que je fasse émerger le "A", derrière ça a permis d'avoir une discussion avec les orateurs. Ils ont trouvé ça super car effectivement c'était un concept auquel ils n'avaient pas pensé. Donc, c'est un mal pour un bien.

   

13. Généralement, quand est-ce qu'on vient te voir, qu'on vient te chercher ? Comment travailles-tu autour de cette facilitation graphique, tu en fais un commerce ?

Je travaille de différentes manières. La première aujourd'hui, c'est de faire connaître la discipline. A présent, le dessin dans les entreprises, c'est pas très bien vu et on est pas dans des entreprises pour faire du dessin. L'idée est de pouvoir expliquer ce qu'est la facilitation graphique. L'usage vraiment privilégié, ça va être les réunions de travail. J'interviens par exemple sur des séminaires, des ateliers d'exploration, définition de vision, définition de stratégie, feuille de route. Cela vient en complément de tous les jeux qu'on connaît pour créer des intéractions. Souvent, je suis en binôme avec un facilitateur, qui lui va être plus axé sur la distribution de la parole. Je vais intervenir également sur des conférences, comme à Lean Kanban, pour faire des cadeaux aux participants, parce que c'est fun, c'est sympa et que ça change aussi des formats. Je suis vraiment dans une démarche de démocratisation du sujet. Je suis fondamentalement convaincu que tout le monde est capable de le faire et que ça a un vrai impact dans les entreprises. Donc aujourd'hui, c'est bien de démocratiser cette compétence là, on sait tous écrire, on sait tous aussi faire des dessins. Je donne des formations sur le sujet, j'ai retravaillé la pédagogie pour vraiment la rendre adaptable et appréciable par tout le monde. Tout le monde en est capable, ce sont des cycles de formation que je commence.

   

14. Tout le monde peut le faire ?

Absolument tout le monde. Je prends l'engagement qu'au bout d'une minute, je sais faire dessiner tout le monde.

   

15. Pourtant il y a du dessin à faire, il y a de la technique ?

Oui, il y a de la technique. Il y a effectivement bien tenir son crayon, bien positionner son poignet sur la table, savoir dessiner des ronds, des carrés, des flèches ;-) On sait tous dessiner, c'est juste qu'on ne fait pas du dessin de talent. Et la facilitation graphique, ce n'est pas du dessin, c'est savoir s'écouter !

06 juil. 2015

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