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#Hyperlean pour la transformation digitale

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La transformation digitale reste l'une des principales préoccupations des grandes entreprises, menant à de "grands projets". Si Agile rime avec Digital, certains gaspillages se remarquent, avec des sommes importantes dépensées pour des résultats discutables. Il y a peu, nous avions lu en avant première #Hyperlean de Cecil Dijoux. L'ouvrage est depuis aujourd'hui disponible en ligne.

Pour faire suite à cette lecture, nous avons échangé avec l'auteur sur les motivations à écrire un tel livre, le lien entre Agile et Lean, les aspects saillants du digital, les freins à une telle transformation, le lien entre digital et Agile à l'échelle, les rôles de managers et de chefs de projets dans une entreprise digitale et l'évolution du savoir comme capital de l'entreprise.

 

InfoQ FR : Cecil, pourrais-tu te présenter ?

Cecil : Bonjour Stéphane et merci pour cet entretien. Je m'appelle Cecil et je travaille dans le numérique et les services depuis près de 30 ans maintenant. Après plusieurs emplois à l'étranger, j'ai intégré en 2004 une start-up à un poste de manager et ma vie a changé (rires) : j'ai découvert les méthodes Agiles, les plateformes collaboratives et la culture geek en général et 37Signals en particulier. J'ai ensuite ouvert un blog en 2007, #hypertextual, qui me sert de support à mon étude inlassable des nouveaux modes de management de l'ère du numérique : agilité, entreprise 2.0, et, depuis 2011, le lean.

InfoQ FR : Les ouvrages autour du digital pullulent depuis plusieurs années. Pourquoi as-tu eu envie d'écrire le tien ?

Cecil : Tout d'abord, comme je l'explique dans Numérique : la petite et la grande histoire, un des billets du site du livre, les capacités du numérique m'ont permis de réorienter ma vie professionnelle durant un épisode très compliqué de ma carrière en 2001 : ils font partie de ma petite histoire.

Par ailleurs, j'offre une perspective terrain. Je suis développeur informatique, j'ai exercé un grand nombre des métiers de l'industrie du SI dans un grand nombre d'organisations, de la start-up à la grande multinationale, et ce dans différents pays. Dans mon travail, il m'arrive dans la même journée de parler avec un développeur, une directrice du marketing et un CEO : il me semble que c'est essentiel lorsque l'on parle du numérique.

Enfin, #hyperlean est de très loin l'ouvrage avec les plus belles illustrations (rires).

InfoQ FR : Tu viens de publier #HyperLean. La connotation de "digital" est plutôt tournée vers l'agilité. Quel lien fais-tu entre le Lean et le digital ?

Cecil : J'ai découvert la pratique de l'agilité en 2004 et j'ai été un agiliste enthousiaste durant près de 8 ans. Car lorsque j'ai découvert le Lean en 2011, j'ai compris que l'agilité n'était qu'une déclinaison des principes Lean pour le monde du développement de produit (logiciel, et autres). Le Lean ne jouit pas d'une image aussi jeune et funky que l'agilité auprès des personnes qui connaissent (mal) l'agilité. Mais il s'agit d'un système de pensée autrement plus robuste et puissant basé sur le client et qui peut aider l'ensemble des métiers de l'entreprise. Contrairement à l'agilité qui est centrée sur l'équipe et qui s'exporte difficilement en dehors de la DSI.

Déclinés par les géants du web et un grand nombre des pratiques du numérique (méthodes agiles, Lean UX, Lean Start-up etc …), #hyperlean veut montrer comment les principes de ce système de management robuste et vertueux permettent aux entreprises de réussir dans cette époque de grande incertitude. Ce livre s’inscrit ainsi dans la proposition forte de l’ouvrage The Second Machine Age de Brynjolfsson et McAfee : l’enjeu du numérique est un enjeu de management.

InfoQ FR : Tu abordes rapidement le sujet dans ton ouvrage. Pour toi, quelles sont les caractéristiques de la transformation digitale qui la différencie des évolutions précédentes ?

Cecil : On peut résumer les causes majeures de la nécessaire transformation numérique en deux points. Premièrement, des ruptures brutales liées aux innovations dans les technologies, les usages et les Business Models, ou encore en raison des nouveaux entrants, très agiles, qui profitent des barrières d’entrée très basses et de leurs plateformes numériques pour attaquer des marchés établis.

Deuxièmement, des clients et des employés qui ont acquis des super pouvoirs grâce à leur smart-phone et à des services numériques publics gratuits à la puissance inédite. Les attentes de vos clients, en termes de qualité et d’expérience client, ainsi que celles de vos employés, en termes de qualité de vie au travail, ont considérablement augmenté.

Pour répondre aux nouveaux impératifs qu’ils ont en partie causés, les géants du web ont adopté une stratégie que l’on peut elle aussi résumer en deux points : une grande agilité pour être capable de s’adapter aux multiples changements qui transforment le business et une expérience client parfaite, à chaque étape de son parcours, pour garantir sa fidélité, dans des marchés saturés.

La proposition de #hyperlean est que la pensée Lean est LA solution pour mettre en oeuvre les principes stratégiques d’agilité et de perfection d’expérience client requis par le numérique. Une proposition enrichie par la contribution à ce livre de Daniel T. Jones, co-auteur des ouvrages classiques sur la pensée Lean.

InfoQ FR : Quels freins observes-tu à la transformation digitale dans les entreprises ? Quels sont les apports du Lean pour les dépasser ?

Cecil : Le frein essentiel est un frein pédagogique. Je n'ai pas le sentiment que l'on explique bien le Pourquoi de la transfomation numérique. Je ne suis pas sûr que dire que des nouvelles technologies sont là et qu'on est ringard si on ne les utilise pas aide beaucoup. Il y a une vision stratégique plus robuste à construire : où voulons-nous être dans cinq ou dix ans et comment les capacités du numérique peuvent nous aider à y aller.

Le Lean est un système de production, une des raisons de son succès auprès des géants du digital (rappelons-nous la célèbre citation de Steve Jobs : «Real artists ship» les vrais artistes sortent des trucs). C'est aussi un système de management éminemment vertueux car il a été construit de façon organique sur plusieurs décennies, pour répondre aux besoins du système de production. Il s'incarne en des pratiques précises et quotidiennes. C'est dans le caractère simple, pragmatique et quotidien de ces pratiques de management que réside cette vertu. En gros : cela permet de se concentrer sur le problème de l'employé, de son équipe et de son client. Cela permet de simplifier le champ d'attention.

InfoQ FR : Le digital surfe dans les grandes entreprises avec "l'agile à l'échelle". Quelle est ta perspective sur ce mouvement ?

Cecil : Au départ, j'étais très emballé par l'approche Agile. Mais avec le temps, je me suis rendu compte que c'était très prescriptif (on fait le sprint planning, le sprint, le debrief, la démo à la fin de la semaine, etc ...) et que du coup ça pouvait rapidement devenir administratif, pris en main par des PMOs qui planifient toutes les cérémonies de toutes les équipes sans ne jamais aller voir sur le terrain comment cela se passe pour l'équipe. L'agile à l'échelle tel que défini par le framework SAFe est un rêve d'ingénieur bureaucrate qui a mis sa main sur une initiative agile. Je ne suis donc que moyennement enthousiaste.

InfoQ FR : Pour revenir à ton ouvrage, tu traites de deux rôles dans les organisations IT : le manager et le chef de projet. J'ai senti une posture assez tranchée avec ce dernier rôle, pourrais-tu nous expliquer pourquoi et l'impact avec le digital ?

Cecil : Dans le lean, nous simplifions notre champ d'attention. Et quand nous allons sur le terrain pour faire des observations, nous regardons deux choses : la valeur créé pour le client et les gaspillages qui empêchent l'équipe de créer cette valeur. Avec cette perspective, je suis désolé de dire que le chef de projet ne crée pas de valeur pour le client. Encore une fois, ce n'est pas un jugement des chefs de projet qui sont souvent des personnes engagées dans leur travail qui essayent de jongler avec des injonctions contradictoires sans avoir aucun levier hiérarchique.

Pour ce qui est du manager, je m'éloigne de plus en plus de ce courant de pensée (Gary Hamel, Isaac Getz, Steve Denning et son radical management très embarrassant) qui émet l'hypothèse que se débarrasser des managers va résoudre tous les problèmes de l'organisation. J'ai la faiblesse de croire que c'est un tout petit plus compliqué que cela. En revanche, le rôle du manager dans l'entreprise du XXIème siècle évolue beaucoup : c'est davantage un coach qu'une incarnation du management Command & Control. C'est intéressant de constater que Google ou Wordpress, après avoir essayé mille alternatives, ont décidé d'avoir une ligne de management dans leur organisation.

InfoQ FR : Dans le chapitre quatre, tu reprends une thèse posant que nous sommes passés d'un système de gestion de la connaissance à un système de développement des apprentissages. En quoi cela est-il si important ? Quelles stratégies proposes-tu pour réussir cette transition ?

Cecil : Il s'agit, il me semble, de la question clé. Le sujet de gestion de la connaissance a été mis en pratique dans les entreprises dans les années 90 avec ces énormes référentiels d'ouvrages en ligne. Un système codifié, structuré, hiérarchisé, taxinomique : tout ce qui ne marche pas. Les réseaux sociaux publics, puis d'entreprise, ont permis d'apporter une solution plus émergente et plus organique pour la diffusion. Ce qu'explique John Hagel : nous sommes passés de stocks de connaissance à des flux de connaissances, ce qui est mieux. Mais les impératifs du numérique nous montrent que le sujet n'est pas cette entité statique de la connaissance qui importe mais le processus dynamique de l'apprentissage. Comment une équipe confrontée à un nouvel obstacle, une nouvelle situation inédite, va être capable d'approcher cette situation pour la régler et en tirer des enseignements pour l'avenir. Voilà ce que permet le lean, car c'est un système d'apprentissage. Et la capacité d'apprendre est devenue LA compétence clé à l'ère du numérique comme le dit Mary Poppendieck.

La stratégie est connue mais inconfortable car il n'y a pas d'application pour cela : c'est la roue de Deming & Shewart, le fameux PDCA. Qui n'est rien d'autre que la mise en oeuvre de la méthode scientifique définie par Bacon au Royaume-Uni et par Descartes en France au XVIIème siècle. Le paradoxe ultime du numérique : c'est un outil formidable pour en obtenir très vite et à très grande échelle de nombreux apprentissages. Mais pour cela il faut mettre en oeuvre un mode de pensée qui date du XVIIème. L'autre chose très inconfortable que nous apprend le lean, c'est que pour aider les équipes à y parvenir, pour les coacher, la technique à employer date de la Grèce classique et de Socrate : la maïeutique.

InfoQ FR : Après un tel ouvrage, quelles sont tes prochaines perspectives ?

Cecil : Marie-Pia Ignace, ma directrice, est très enthousiaste pour ce livre et elle m'a incité à le publier en anglais. Cette publication est prévue pour Septembre. Et j'ai aussi commencé à avancer sur un autre livre qui sera lui moins théorique et beaucoup plus pratique. Une sorte de carnet de bord de mes 5 premières années de coach lean.

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