Points Clés
- Une équipe peut être soit dans un mode survie, soit dans un mode apprentissage, soit dans un mode auto-organisé.
- Chaque mode appelle un style de leadership différent.
- Le but ultime d’un leader agile est de se rendre non-nécessaire (équipes auto-organisées).
- Le mode survie pourrait nous laisser désemparés, mais il est très facile de rester dans notre zone de confort. Il y a des façons de s’en sortir.
- Sortir de la zone de confort est une technique clé pour apprendre de nouvelles compétences. L’inconfort va de paire avec le territoire. Soyez heureux de cet inconfort, recherchez-le activement !
Le livre Elastic Leadership de Roy Osherove montre que les équipes peuvent avoir besoin de différents types de leadership selon l'état dans lequel elles se trouvent et ce qui peut être fait pour les faire progresser vers une auto-organisation véritable. Il présente des valeurs, des techniques et des pratiques que les leaders peuvent utiliser dans leur travail quotidien.
Les lecteurs d'InfoQ peuvent télécharger un extrait du livre Elastic Leadership
InfoQ s'est entretenu avec Roy Osherove au sujet du leadership élastique et comment trouver quel style de leadership serait le plus efficace pour une équipe, ce qui fait que des équipes terminent dans un mode survie et y demeurent, et comment mener des équipes dans ce mode, ce que les leaders peuvent faire pour permettre l'apprentissage dans leurs équipes et le soutenir, comment des réunions de défrichement peuvent aider les équipes à progresser vers l'auto-organisation, et comment les responsables opérationnels peuvent travailler avec les équipes.
InfoQ : Pourquoi avez-vous écrit ce livre ?
Roy Osherove: Ce livre est celui que j'aurais voulu avoir quand j'ai commencé comme leader technique. Il parle de tous les sujets "entre-deux" qui ne font jamais les gros titres lorsqu'on est en phase d'apprentissage. Au lieu de répondre à la question "Quelles sont les bonnes pratiques agiles ?", il répond à "Comment faites-vous en pratique pour que les gens changent leur attitude afin de suivre les pratiques auxquelles vous croyez ?". Au lieu d'un énième « Voici ce qu'on fait avec Kanban », il parle des métriques que vous utilisez aujourd'hui, mais qui pourraient vous être nuisibles, voire amener les gens à ne même pas essayer d'adopter Kanban. C'est la colle qui fait tenir le tout. Du leadership et des compétences à gérer les gens, voilà ce que quiconque à une position clé a besoin pour véritablement ancrer dans le réel ce qu'il pense être la bonne chose à faire.
InfoQ : À qui ce livre s'adresse-t-il ?
Osherove : À toute personne qui se trouve à un poste de "goulot d'étranglement". Chefs de projet, product owners, leaders techniques, architectes, scrum masters ou experts techniques dans une technologie particulière. Ce sont les personnes qui peuvent faire fonctionner une organisation ou la casser, c'est juste qu'ils ne réalisent souvent pas le pouvoir qu'ils ont pour changer la réalité qui les entoure.
InfoQ : Qu'est-ce que le leadership élastique ?
Roy Osherove : Le leadership élastique est un modèle que j'ai peaufiné au cours des années pour aider les leaders et les experts à faire grandir les équipes autour d'eux vers l'auto-organisation. Les lecteurs passionnés pourraient y trouver quelques similitudes avec le modèle de Tuckman "Formation, tension, normalisation", mais il ne se base pas sur celui-ci, et a des points d'intérêt différents.
Le modèle du leadership élastique décrit trois états différents dans lesquels peut se trouver une équipe (mode survie, mode apprentissage, mode auto-organisation), et pour chacun d'eux, le type de stratégie de leadership favorable pour faire évoluer l'équipe vers l'auto-organisation, ainsi que les actions possibles pour passer d'un mode à l'autre.
Les points clés de ce modèle sont :
- Vous devez en permanence modifier votre style de leadership pour qu'il corresponde à la réalité actuelle et au niveau de compétence de l'équipe.
- Accroître les compétences des gens devrait être l'une des principales mesures définissant votre réussite en tant que leader ou expert.
- Il n'est pas impossible de sortir votre équipe d'une mauvaise situation telle que le mode survie (éteindre les feux en permanence, pas de temps pour apprendre). Il y a une façon de s'en sortir, qui requiert des compétences de leadership et du courage.
J'ajoute une image du modèle ici :
[Cliquez sur l'image pour l'agrandir]
InfoQ : Comment peut-on découvrir le style de leadership le plus efficace pour une équipe ?
Roy Osherove : Le but principal est d'amener l'équipe à l'auto-organisation. À chaque instant, vous devez vous demander "Dans quel mode est mon équipe ?", puis "Que dois-je faire pour l'amener dans un mode d'auto-organisation ?".
Par exemple, vous pourriez suivre ce raisonnement :
"Pour que mon équipe soit auto-organisée, ses membres vont avoir besoin de compétences qu'ils n'ont pas encore aujourd'hui. Mais ils n'ont pas le temps d'apprendre ces compétences et de les pratiquer puisque nous sommes en mode survie. Je dois donc les faire sortir de ce mode survie, afin qu'ils puissent apprendre ces compétences qui leur manquent. Ce qui veut dire que pour l'instant, je dois plutôt être un leader en mode commander et contrôler, afin que nous puissions sortir de ce mode survie et apprendre de nouvelles compétences."
Voici un autre exemple :
"Pour que l'équipe s'auto-organise, elle doit moins dépendre de moi. Mais j'ai l'impression de résoudre les problèmes de tout le monde. Puisque nous avons le temps d'apprendre de nouvelles compétences, je vais en choisir une pour chaque personne qui m'approche, ce qui lui permettra de résoudre un nouveau type de problème sans moi. La prochaine fois que cette personne m'approchera avec ce type de problème, je lui proposerai d'essayer de le résoudre seule. Je vais dorénavant coacher depuis la ligne de touche, mais je veux être sûr qu'ils comprennent ma façon de penser sur ce problème pour qu'ils puissent l'appliquer aux autres problèmes qui lui ressemblent."
InfoQ : Qu'est-ce qui fait qu'une équipe arrive en mode survie et y reste ?
Roy Osherove : De manière surprenante, le mode survie est très confortable. De nombreuses personnes basent toute leur carrière à naviguer et vivre dans un mode survie. C'est très réconfortant de toujours être le "héros" qui revient tard le soir pour réparer un build cassé, le "héros" que tout le monde attend pour corriger un énorme problème qu'il est le seul à pouvoir faire. C'est confortable de toujours être dans un mode "on est déjà en retard, alors faisons du multitâche, traitons les problèmes urgents et réagissons aux gens".
Ce que j'essaie de dire, c'est que la première raison de rester dans un mode survie est psychologique, c'est une addiction. On a l'habitude de résoudre les choses d'une certaine manière, et changer cela est difficile.
Le second facteur d'importance est le temps, les estimations et le sur-engagement. La meilleure façon de casser ce mode survie est de commencer à inclure du temps d'apprentissage dans vos estimations (tout spécialement si vous utilisez des estimations en temps), et de supprimer le sur-engagement et le travail multitâche. Être sur-engagé, c'est être toujours en retard, et le multitâche fait que les tâches prennent presque toujours beaucoup plus de temps qu'elles ne devraient, à cause des changements de contexte, et du fait que les tâches sont découpées et « mixées » sur de longues périodes de temps.
Il est très commun d'entendre des équipes en mode survie dire des choses comme " Je sais que nous devrions faire X, mais on n'a pas le temps d'apprendre comment le faire. Alors on va y aller à l'économie jusqu'à ce qu'on ait le temps." L'ironie est que pendant ce temps, apprendre X aurait pu écourter le temps d'engagement et aider à résoudre la plupart des problèmes qui font qu'ils n'ont pas de temps à y consacrer.
Par exemple, si on se réfère au savoir-faire des tests automatiques au lieu des tests manuels, il y a une boucle de rétroaction négative (voir l'image) : on n'a pas le temps d'apprendre comment automatiser les tests, donc on fait des tests manuels, ce qui augmente le temps passé à faire des tests manuels, ce qui veut dire encore moins de temps pour apprendre comment faire, etc.
Maintenant, considérez cette boucle inversée dans laquelle on remplace la décision en haut à droite par « écrire un test automatisé » : le temps de test manuel diminue (pour chaque run, ce qui s'accumule au fil du temps), ce qui augmente le temps libre pour apprendre d'autres compétences, ainsi que celui pour écrire encore d'autres tests automatisés.
Selon l'adage, "l'argent appelle l'argent". On peut voir que parfois, "le temps appelle le temps".
InfoQ : Comment peut-on mener une équipe qui se trouve dans un mode survie ?
Roy Osherove : Dans un mode survie, il faudrait se focaliser sur la sortie de ce mode. En sortir nécessite de remettre à plat les attentes du management au sujet des engagements en cours, c'est-à-dire tracer une ligne dans le sable, habituellement une trentaine de jours, pour permettre à l'équipe d'estimer à nouveau les projets en y incluant l'apprentissage.
L'équipe prend seulement ce qui peut rentrer dans ces 30 jours, en excluant le multitâche autant que possible.
Dans le graphique suivant, on passe de l'image A à l'image B, afin de pouvoir passer dans un mode apprentissage :
[Click on the image to enlarge it]
Dans le mode survie, une approche plus commander et contrôler permet d'amener le navire à bon port (celui de l'apprentissage). Comme quelqu'un m'a dit une fois : "Quand le bateau coule, le capitaine n'organise pas de réunion, il donne des ordres."
C'est bien évidemment à l'opposé du style de leadership que vous voudriez dans un mode apprentissage, mais il faut d'abord naviguer jusque-là.
InfoQ : Qu'est-ce que les leaders peuvent faire pour permettre et soutenir l'apprentissage dans les équipes ?
Roy Osherove : Dans le mode apprentissage, vous pouvez juger votre réussite en tant que leader en mesurant combien de fois par jour ou par semaine on a besoin de vous comme "goulet d'étranglement", c'est-à-dire quand vous êtes la seule personne qui peut aider à faire avancer les choses.
Votre tâche principale est d'aider l'équipe à gagner en compétences pour qu'elle ait le moins possible besoin de vous, ce qui est le sens de l'auto-organisation. Ne pas avoir besoin d'autres personnes pour finir son travail et prendre ses propres décisions. Cela s'applique aussi à "quoi faire quand vous ne savez pas quoi faire", ce pourquoi les leaders sont le plus souvent approchés. Dans ce cas, votre travail est de leur apprendre à penser comme vous dans ce genre de situation et leur permettre (permission, autorité, compétences) de prendre une décision sans vous, même si ce travail prend du temps.
Cela peut vouloir dire envoyer un membre de l'équipe aux réunions auxquelles vous allez habituellement en tant que leader, pour qu'il puisse commencer à apprendre les bases et avec de la chance vous remplacer dans ces réunions un jour.
InfoQ : Dans le livre, vous décrivez comment les réunions de défrichement peuvent aider les équipes à progresser vers l'auto-organisation. Pouvez-vous élaborer ?
Roy Osherove : Ces réunions sont une bonne façon de mesurer l'auto-organisation de l'équipe. Elles sont le lieu où les membres de l'équipe peuvent parler des problèmes, ainsi que ce qu'ils comptent faire à leur sujet. L'idée principale est d'apprendre aux gens à venir à la réunion quand ils ont déjà commencé à travailler sur ces problèmes, sans attendre que la réunion ait lieu. Plus cela arrive, plus cela signifie que les gens se posent eux-mêmes les questions difficiles pour résoudre les problèmes qui leur tiennent à cœur, sans attendre une permission ou une annonce lors d'une réunion prescrite.
Cela n'est pas facile, mais je ne connais pas de meilleure façon d'avoir une compréhension profonde de la maturité d'une équipe sans cela.
InfoQ : Qu'en est-il des équipes qui sont vraiment auto-organisées. Qu'attendent-elles des leaders ?
Roy Osherove : De ne pas les gêner. De définir des buts, au lieu de dire à l'équipe comment faire son travail. Il s'agit d'un mode "sans les mains sur le guidon" pour les leaders. Il est très difficile de ne pas dire aux autres quoi faire et de donner des buts à l'équipe à la place.
Ce mode nécessite aussi une compréhension constante de la maturité de l'équipe pour voir si elle n'est pas repassée dans un autre mode. Cela peut arriver si la réalité autour de l'équipe change, ou si les gens dans l'équipe changent. Le manque d'aptitude à prendre en compte cette nouvelle réalité peut ramener à un mode d'apprentissage ou même de survie.
Ce mouvement peut avoir lieu parfois en quelques jours seulement, parce que la réalité change très rapidement.
InfoQ : Quelles sont vos conseils pour des responsables opérationnels quand ils travaillent avec des équipes en mode survie, en mode apprentissage ou en mode auto-organisé ?
Osherove : Il faut du courage pour sortir du mode survie. Pour réaliser que cette difficulté à faire changer la réalité où se trouve l'équipe fait partie du travail. Jerry Weinberg a écrit un très bon livre qui s'intitule "Gérer les équipes de manière cohérente" (Managing Teams Congruently), et dans lequel il dit, en paraphrasant, que "le management est un boulot difficile. Trop de managers aiment le niveau de salaire qui va avec, mais pas toutes ces difficultés."
Ces difficultés sont exactement cela : travailler avec des personnes, modifier les réalités et paver la voie vers le succès.
Elles vont de paire avec le territoire. Si cela vous effraie ou vous angoisse un tant soit peu, cela veut dire que vous faites bien votre boulot ! C'est la même chose pour le mode apprentissage. Si tout vous semble totalement sans danger, c'est que vous ne poussez pas assez les choses ou les gens en dehors de leur zone de confort. Si l'équipe se sent complètement "en sécurité" et dans sa zone de confort, si personne ne se sent un peu gêné ou frustré, cela peut vouloir dire qu'ils n'apprennent rien de nouveau.
L'inconfort va de paire avec le territoire. Recherchez-le et soyez heureux quand vous le trouvez : cela veut dire que vous progressez.
Au sujet de l'auteur
Roy Osherove est l'auteur de "Leadership élastique : faire croître des équipes auto-organisées", "L'art du test unitaire", et du prochain ouvrage à paraître "L'organisation orientée pipeline". Il est consultant freelance et formateur, et il coache des sociétés dans le monde entier sur des sujets comme le développement orienté test, le leadership technique agile, la livraison continue, et les métriques efficaces pour les organisations orientées pipeline.
Vous pouvez suivre son blog et découvrir plus d'information à son sujet sur son site web.