Points Clés
- Les organisations qui ne mesurent pas la valeur de ce qu’elles délivrent ne savent pas déterminer parmi leurs idées lesquelles sont bonnes et lesquelles ne répondent pas aux besoins de leurs clients. En corollaire : un gaspillage de temps, d’efforts et d’investissement.
- Les organisations améliorent leur performance en élaborant des expériences autour de leurs idées pour tester explicitement leur valeur pour les clients. Réaliser ces expériences le plus rapidement possible et avec un minimum d’efforts aide les organisations à améliorer considérablement leur efficacité et à répondre aux besoins des clients.
- Se fixer des objectifs stratégiques en terme de valeur permet aux organisations de clairement déterminer ce qu’elles veulent atteindre et aide chacun de leurs membres à aligner leur travail sur ces objectifs.
- Outre l’amélioration de la valeur qu’elles apportent, la plupart des organisations doivent également améliorer la rapidité et l’efficacité de leurs actions. Le fait de concevoir les améliorations comme des expériences menées dans des cycles rapides et fréquents aide les organisations à s’améliorer rapidement.
- Pour que les organisations puissent améliorer la valeur qu’elles offrent, elles ont besoin de boucles de rétroaction relativement rapides qui leur permettent d’essayer rapidement de nouvelles idées afin de déterminer celles qui méritent un investissement supplémentaire.
Nous savons tous ce qu’on entend par « agilité », n’est-ce pas ? Il s’agit de livrer plus vite, d’éliminer les déchets et d’être plus efficace. C’est du moins ce que j’entends dans la bouche des cadres exécutifs. Et si ce n’était pas vraiment cela ? Ou du moins, pas complètement ?
Posons ce dilemme sous forme de question. Qu'est-ce qui est mieux : aller à 100 km/h dans la mauvaise direction, ou à 30 km/h dans la bonne ?
Cela semble un question stupide. Nombreuses sont pourtant les organisations à ne pas vraiment savoir si elles vont dans la bonne direction. Elles travaillent d’arrache-pied pour améliorer leur vitesse de mise sur le marché, mais dès que le projet est livré, elles passent au suivant. Elles n’ont aucune idée si ce qu’elles viennent de livrer améliore les résultats pour les clients. Et si ce qu’elles viennent juste de livrer n’apportait aucune valeur réelle à leurs clients ?
La plupart de ce que nous produisons est du déchet, on ne le sait juste pas encore
Microsoft et Amazon sont considérées comme deux des entreprises les plus prospères du monde actuel, si ce n’est de l’histoire. Pourtant, selon leurs propres mesures, la plupart de leurs nouvelles idées ne parviennent pas à atteindre les objectifs qu’elles se sont fixés. Dans le cadre de recherches qui s’étendent sur plus d’une décennie, Ronny Kohavi a constaté chez Microsoft les résultats approximatifs suivants :
- ⅓ des idées ont amélioré leurs mesures prévues
- ⅓ des idées n’ont eu aucun effet sur les mesures prévues
- ⅓ des idées ont en fait aggravé les mesures prévues
Ou, pour dire les choses plus simplement, deux tiers des idées n’avaient aucun avantage commercial, voire un avantage négatif. Et peu importe qui les a eues : les cadres et autres personnes très expérimentées, et généralement très bien payées, n’ont pas plus de chances de trouver de bonnes idées que les employés relativement inexpérimentés et mal payés. Bref, tout le monde a parfois une mauvaise idée.
Vous pourriez être tenté de penser que votre organisation fait mieux que cela, mais si vous ne mesurez pas l’impact du travail que vous faites, comment pouvez-vous en être sûr ? Peut-être êtes-vous plus chanceux que la plupart des autres, mais c’est très peu probable. Les organisations qui mesurent l’impact de leur travail obtiennent des résultats largement similaires : la plupart de leurs idées ne parviennent pas à améliorer les résultats des clients. La clé est d’identifier rapidement les idées qui n’apportent pas de valeur ajoutée et de ne pas les développer plus avant.
Qu'est-ce que la valeur commerciale ?
Pour faire court, les organisations créent de la valeur commerciale lorsqu’elles améliorent l’expérience client. Cette valeur peut être réalisée en termes d’augmentation de la valeur de la marque, d’amélioration des revenus, d’augmentation de la satisfaction des employés ou de toute autre façon, mais la source de toute valeur est l’expérience client.
Le framework de gestion fondée sur les preuves (EBM, pour Evidence-Based Management) se concentre sur deux types de mesures de la valeur commerciale : la Valeur Actuelle et la Valeur Non Réalisée. La Valeur Actuelle (VA), comme son nom l’indique, est la valeur ressentie par les clients aujourd’hui, grâce au produit ou au service existant. La compréhension de la VA vous donne une bonne idée de vos performances jusqu’à présent, mais elle ne donne pas une image complète de la valeur.
Quelle valeur est suffisante ?
Si vous considérez la valeur comme un profit ou un bénéfice par action (une vision très limitée et tournée vers l’intérieur), vous pourriez croire qu’il n’y en a jamais assez, mais du point de vue des résultats pour le client, il existe un point où un client est entièrement satisfait, tout comme un client du meilleur restaurant du monde finit par ne plus pouvoir apprécier une autre bouchée. Nous décrivons l’écart de satisfaction entre l’expérience actuelle d’un client (VA) et son expérience souhaitée en termes de Valeur Non Réalisée (VNR). (Voir la figure 1).
Combler ces écarts de satisfaction représente des opportunités pour une organisation et ces écarts de satisfaction fixent également une limite à la valeur qu’une organisation peut créer. Une fois qu’un écart de satisfaction est comblé, l’entreprise devra rechercher de nouveaux clients présentant des écarts de satisfaction différents afin d’alimenter sa croissance.
Figure 1 : La Valeur Non réalisée est créée par les écarts entre l'expérience actuelle et l'expérience souhaitée d'un client
Formuler les objectifs en termes de valeur
Puisque la réduction des écarts de satisfaction et la réduction de la Valeur Non Réalisée sont les seuls moyens pour une organisation de créer de la valeur, fixer des objectifs en termes de VNR aide une organisation à être claire sur ce qu’elle cherche à atteindre. Mais avant d’en dire plus, parlons des objectifs. Nous les décomposons comme suit :
- Tout en haut, nous avons les objectifs stratégiques, qui sont des éléments importants que l’organisation souhaite atteindre à relativement long terme, disons 3 à 5 ans. Nous pensons que le fait de formuler ces objectifs en termes de réduction de la Valeur Non Réalisée apporte de la clarté et de la motivation à l’ensemble de l’organisation, car cela donne à ses membres quelque-chose de spécifique et de motivant à atteindre.
- Puisque l’échelle de temps des objectifs stratégiques est relativement longue, les gens ont besoin d’un objectif à plus court terme. C’est pourquoi les organisations ont également besoin d’objectifs intermédiaires, à un horizon de 3 à 6 mois. Ces objectifs sont plus concrets et permettent aux gens de savoir s’ils vont dans la bonne direction.
- Enfin, la plupart des gens ont besoin d’un objectif à plus court terme et plus concret sur lequel se focaliser. C’est pourquoi les organisations ont également besoin d’objectifs tactiques immédiats, dont la portée peut aller de quelques jours à quatre semaines dans le futur. Ces objectifs très spécifiques aident les gens à se diriger vers des objectifs intermédiaires et stratégiques à plus long terme.
Progresser vers les objectifs
Nous vivons dans un monde incertain, et le chemin vers des objectifs ambitieux axés sur les résultats des clients est encore plus incertain, comme le soulignent les données mentionnées précédemment. Pour atteindre des objectifs ambitieux, les organisations doivent recourir à l’empirisme, c’est-à-dire à des expériences ciblées visant à atteindre des objectifs (voir figure 2).
Figure 2 : L’empirisme aide les organisations à poursuivre leurs objectifs en période d’incertitude
Voici comment cela fonctionne : compte tenu de leurs objectifs stratégiques et intermédiaires, les équipes se fixent des objectifs tactiques immédiats qui, si elles les atteignent, les aideront à progresser vers leurs objectifs à plus long terme. Elles formulent des idées sur la manière dont elles peuvent progresser vers ces objectifs (hypothèses). La mise en œuvre de ces idées produit de nouvelles informations (expérimentation et mesure) qu’elles examinent pour voir si elles ont atteint l’objectif et appris des choses intéressantes (inspection). Ces informations alimentent ensuite de nouvelles idées sur la manière d’aller de l’avant (adaptation).
Et lorsque les équipes s’adaptent, elles ne se contentent pas de considérer leur progression vers l’objectif : elles se demandent également si les objectifs eux-mêmes doivent être modifiés en fonction de nouvelles informations. Un nouveau concurrent peut entré en scène, ou un événement extérieur peut avoir modifié les résultats souhaités par les clients (comme cela a été le cas pour beaucoup d’entre nous au cours des 18 derniers mois).
Qu'en est-il de la vitesse et de l'efficacité ?
Dans la recherche de la valeur, la vitesse et l’efficacité sont importantes, mais pas pour les raisons habituelles. La vitesse et l’efficacité sont généralement importantes lorsqu’une organisation est certaine que ce qu’elle fournit a de la valeur, car « rapide » et « efficace » se traduisent par « plus rentable ».
Lorsque la valeur est incertaine, la rapidité et l’efficacité sont importantes pour différentes raisons. La meilleure façon de valider une idée est de développer quelque chose de minimal très rapidement, de le livrer et de mesurer le résultat. Si l’idée est valable, vous pouvez investir plus de temps pour affiner la solution, et si elle ne l’est pas, vous pouvez passer à d’autres idées à tester. La rapidité d’exécution vous permet de tester les idées rapidement. Dans le framework EBM, nous appelons cela le Délai de Mise sur le Marché (Time-to-Market).
Et qu'en est-il de l'efficacité ?
L’efficacité est axée sur l’élimination des activités sans valeur ajoutée qui empêchent une équipe de livrer rapidement, ou de livrer autant de valeur qu’elle en est capable. L’automatisation joue un rôle dans ce domaine, mais les interruptions fréquentes et le fait de devoir travailler sur des choses qui n’apportent pas de valeur ajoutée jouent un rôle encore plus important.
Parmi les exemples d’autres tâches sans valeur ajoutée, citons les réunions de coordination entre les équipes qui ne seraient pas nécessaires si l’équipe de livraison était suffisamment qualifiée pour faire simplement le travail elle-même. Ou le fait de devoir s’adresser à quelqu’un pour une décision qui ne serait pas vraiment nécessaire si l’équipe de livraison était suffisamment habilitée. Dans le cadre de l’EBM, nous appelons cela la Capacité d’Innovation.
Mesurer les résultats pour comprendre la valeur
Lorsque les organisations mesurent la vitesse et l’efficacité, elles recherchent des améliorations dans des domaines faciles à voir (ou à mesurer), et non dans les domaines qui sont les plus susceptibles d’identifier de bonnes opportunités d’amélioration. La vélocité est facile à mesurer. Le coût est facile à mesurer. Mais ils ne vont pas dire à l’organisation quelles sont les 60 % de ses idées qui ne valent pas la peine d’être développées.
Le framework EBM parle de trois types de mesures :
- Les activités : Il s’agit de choses que les membres de l’organisation font, comme effectuer un travail, aller à des réunions, avoir des discussions, écrire du code, créer des rapports, assister à des conférences, etc.
- Les produits : Il s’agit des éléments produits par l’organisation, tels que les versions de produits (y compris les fonctionnalités), les rapports, les rapports de défauts, les examens de produits, etc.
- Les résultats : Il s’agit d’éléments souhaitables pour le client ou l’utilisateur d’un produit. Ils représentent une capacité nouvelle ou améliorée que le client ou l’utilisateur n’était pas en mesure d’atteindre auparavant.
Il est facile de mesurer les activités et les produits, et ce n’est pas sans importance, mais seulement comme moyen d’améliorer la capacité de l’organisation à produire des résultats utiles, rapidement et efficacement. La mesure des résultats indique à l’organisation si elle fournit de la valeur.
Différentes approches permettent de se focaliser sur autres choses
Sur quoi une organisation doit-elle se concentrer si elle veut s’améliorer ? Doit-elle d’abord se concentrer sur la création de valeur, puis devenir rapide et efficace ? Ou doit-elle devenir rapide et efficace, puis se préoccuper de la valeur ? Ou encore doit-elle s’améliorer dans tous ces aspects à la fois ?
Pour la plupart des organisations, l’écart de satisfaction est important. Cela peut ne pas sembler une bonne chose, mais c’en est une, car cela signifie que l’organisation a une grande opportunité de créer de la valeur pour les clients. Si l’écart de satisfaction était très faible, l’organisation aurait très peu de possibilités d’améliorer l’expérience client et donc peu de possibilités de croissance.
L’organisation doit ensuite se demander avec quelle rapidité et quelle efficacité elle peut fournir un nouveau produit ou un nouveau service qui améliore la valeur pour le client. Si le Time-to-Market de l’entreprise est très long (disons plus de 6 mois), elle ne sera pas en mesure d’améliorer la valeur pour le client très rapidement et devra se concentrer sur ce point dans une premier temps.
Si l’organisation est en mesure d’obtenir des résultats rapides, mais seulement de très petites améliorations progressives, elle devra peut-être se concentrer également sur son efficacité.
Une fois que l’organisation peut fournir une nouvelle capacité très fréquemment (disons une fois par mois), elle peut alors mesurer assez fréquemment pour commencer à avoir une meilleure idée de ce qui a de la valeur. Pour les produits numériques, cependant, la plupart des organisations doivent ramener leur Délai de Mise sur le Marché à quelques jours, et non à quelques semaines, afin de mener des expériences efficaces sur la valeur.
Une fois qu’elles peuvent mener des expériences fréquentes, les organisations peuvent s’efforcer d’améliorer leur prestation de valeur tout en travaillant sur le délai de mise sur le marché et l’efficacité.
Les objectifs à 3 niveaux revisités
Imaginons une organisation dont l’objectif stratégique est d’éliminer les effets néfastes sur la santé et l’économie d’une maladie particulière récemment découverte. Elle peut avoir pour objectif intermédiaire de produire un traitement qui prévient la maladie ou atténue les effets.
Son objectif intermédiaire serait-il de produire un vaccin ? Ce pourrait être une façon de prévenir la maladie, mais ce n’est peut-être pas possible, comme l’ont découvert ceux qui traitent certaines maladies. En outre, il est plus utile d’exprimer l’objectif en termes de résultats à atteindre, afin qu’ils soient clairs et puissent être testés, plutôt que de les exprimer en termes de résultats (le vaccin) qui pourraient ne pas atteindre le résultat souhaité.
Ainsi, les objectifs stratégiques et intermédiaires sont mieux exprimés en termes de résultats que l’on souhaite atteindre (exprimés en termes de VA ou de VNR).
Les objectifs à court terme (tactiques immédiats) sont différents : pour ceux-ci, vous devrez peut-être vous concentrer sur les activités et les résultats, comme la réduction du temps nécessaire pour être testé, ou la réduction du temps nécessaire pour mener un nouvel essai de traitement, afin de développer la capacité de mener des expériences plus rapidement. Mais même dans ce cas, l’objectif final est de mener des expériences petites et rapides qui vous aident à déterminer si vous allez dans la bonne direction.
Conclusion
De nombreuses organisations définissent leurs objectifs d’agilité comme le fait d’aller plus vite et d’être plus efficaces parce qu’elles supposent que ce qu’elles font aujourd’hui a de la valeur. Lorsqu’elles commencent à mesurer la valeur, elles découvrent souvent qu’elles ont un défi différent à relever : améliorer la valeur qu’elles offrent. Pour y parvenir efficacement, elles ont besoin de boucles de rétroaction relativement rapides qui leur permettent d’essayer rapidement de nouvelles idées et de déterminer celles qui méritent un investissement supplémentaire.
Les organisations devront peut-être améliorer leur capacité de livraison pour mener efficacement ces expérimentations. Elles devront peut-être améliorer rapidité et efficacité pour être en mesure de tester rapidement des idées, de recueillir et d’analyser des données, et d’adapter leurs objectifs, leur stratégie et leurs tactiques en fonction de ces résultats.
A propos de l'auteur
Kurt Bittner a plus de 30 ans d’expérience dans la livraison de logiciels fonctionnels dans des cycles courts et axés sur le retour d’information. Il a aidé une grande variété d’organisations à adopter des pratiques de livraison de logiciels agiles, notamment dans la banque, l’assurance, la production et la vente au détail, ainsi que dans de grandes agences gouvernementales. Il a travaillé pour ou avec de grandes organisations de livraison de logiciels, notamment Oracle, HP, IBM et Microsoft, et est un ancien analyste de l’industrie technologique chez Forrester Research. Il s’efforce d’aider les organisations à mettre en place des équipes solides, auto-organisées et performantes, capables de fournir des solutions que les clients apprécient. Il est l’auteur de quatre livres sur des sujets liés au développement de logiciels, dont The Nexus Framework for Scaling Scrum. Il est basé à Boulder, dans le Colorado, et occupe le poste de vice-président des solutions d’entreprise pour Scrum.org.