Yves Hanoulle disait, à la conférence XP Days Benelux 2013, que l'Agilité est un état d'esprit et une amélioration continue de tout. Il animait une séance sur la force de l'habitude, pendant laquelle il expliquait comment les gens peuvent créer ou changer leurs habitudes de vie.
InfoQ a interviewé Yves à propos des habitudes des gens et de ce qu'il est possible de faire pour acquérir l'habitude d'améliorer.
InfoQ : Vous avez déclaré que les équipes doivent acquérir l'habitude d'améliorer. Pourquoi ?
Yves : Je pense qu'il n'existe pas de processus optimal pour toutes les situations. Quand une équipe est efficace dans la situation actuelle, si sa façon de travailler ne change pas, ce ne sera pas bon pour les situations futures.
Sur le long terme, une "mauvaise" équipe qui acquerra l'habitude d'améliorer sera meilleure que n'importe quelle équipe qui ne possède pas une telle habitude.
InfoQ : Est-ce que les équipes ont vraiment des habitudes ? Ou les entreprises ? Ou est-ce les membres de l'équipe, les personnes elles-mêmes qui ont des habitudes ?
Yves : Dans le livre la force de l'habitude, Charles Duhigg dit que +40% de nos actions sont des habitudes.
Charles dit également : "Les individus ont des habitudes, les groupes ont des routines." J'ai personnellement vu des entreprises où les gens se comportaient encore en suivant une routine non documentée qui avait été démarrée des années auparavant par le fondateur, décédé depuis longtemps.
Toutefois, ce n'est pas nécessairement mauvais. Je pense que l'on peut dire que ces routines sont ce qui rend les entreprises uniques. Les gens vont à McDonalds ou à Starbucks à cause de ces routines. Les routines rendent le produit que j'achète en Belgique similaire à celui que j'achète aux Etats-Unis. Et, bien sûr, ce sont les gens qui font les habitudes et quand ils quittent ces entreprises, ils ont probablement emporté certaines habitudes avec eux.
InfoQ : Comment le fait de changer ses habitudes aide t-il à développer un état d'esprit agile ?
Yves : Il y a un bon exemple dans le livre, qui parle de la façon dont un CEO a changé l'état d'esprit d'une entreprise, en se focalisant sur les habitudes liées à la sécurité. Votre question me fait vraiment penser à Karate Kid : vous savez, la célèbre scène "Main droite lustrer / Main gauche frotter".
Pour faire simple, ce que son entraineur lui fait faire est de se focaliser sur l'habitude, pour s'assurer que ses mouvements en deviennent une. Et l'état d'esprit d'amélioration continue, la focalisation et le dévouement viennent avec. C'est un bon début avec n'importe quelle équipe.
InfoQ : Dans votre conférence, vous mentionniez la règle d'or du changement d'habitude. Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet ?
Yves : Oui, même si je veux insister sur le fait que les gens achètent le livre de Charles pour apprendre les détails. Il peut l'expliquer beaucoup mieux que moi.
Pour comprendre la règle d'or du changement d'habitude, il est important de comprendre les détails des habitudes.
Une habitude existe de par :
- un déclencheur (appelé indice dans le livre)
- une routine (à ne pas confondre avec une routine d'équipe)
- une récompense
La majorité des gens, lorsqu'ils veulent remplacer une habitude, veulent remplacer le système entier. La règle d'or du changement d'habitude dit qu'il est plus efficace de ne remplacer que la routine - comme remplacer le fait de fumer par des chewing gums (ou des patchs de nicotine).
InfoQ : Quelles sont les habitudes des entreprises performantes ?
Yves : Oh, je pense que cela dépend de l'entreprise. Cela dépend déjà de ce que vous appelez une entreprise performante. Ce que je qualifie de performant n'est pas forcément ce que vos lecteurs qualifient de performant. Personnellement, j'aime ce que fait Toyota, et pour moi, Toyota a vraiment créé une culture du changement d'habitude, ou une habitude de changement d'habitudes. Et une vraie équipe agile avec qui j'ai travaillé avait la même habitude. Le livre contient des exemples de comment Starbucks a créé ses habitudes.
InfoQ : Pourquoi ces habitudes les rendent-elles performantes ?
Yves : Les habitudes rendent les entreprises et les gens performants, car elles sont prévisibles et répétables.
L'un des avantages d'une habitude est que notre cerveau a moins besoin de réfléchir. Il y a une raison pour laquelle lors des exercices de sécurité ou d'incendie, on se concentre sur les habitudes. Ils veulent nous apprendre à réagir en situation de stress. Ce sont ces précieuses secondes supplémentaires qui font la différence entre la vie et la mort de personnes.
Le fait qu'un Starbucks Coffee soit le même, où que vous alliez, vous rend les choses plus faciles lorsque vous vous rendez dans une ville ou un pays étranger. Toutefois, cela ne veut pas dire que les employés de Starbucks ne sont pas autorisés à penser, mais que comme Toyota, on leur apprend à changer leurs habitudes.
InfoQ : Dans une précédente interview avec InfoQ à propos de l'état d'esprit Agile et Lean, vous parliez de coaching à deux. Est-ce aussi un moyen efficace de changer les habitudes ?
Yves : J'aimerais dire tout d'abord que j'ai beaucoup d'outils dans ma boîte à outils, et qu'ils ne sont pas toujours tous applicables. Ceci dit, le coaching à deux m'aide beaucoup à me changer moi-même.
J'ai pris l'habitude de faire toutes mes formations à deux. Par exemple, quand j'anime mon atelier agile dans un autre pays, je demande aux organisateurs s'ils connaissent quelqu'un qui voudrait le présenter avec moi. Je prépare la formation avec cette personne. Et nous la faisons ensemble, ce qui présente beaucoup de défis, puisque je dois l'assurer avec quelqu'un, avec qui j'aurai pu ne jamais la donner.
La récompense que nous obtenons, mes étudiants et moi, est que cela nous maintient intellectuellement alertes. Chaque formation est différente et fraîche. Oui, nous avons une structure sur laquelle nous reposer, si nécessaire.
InfoQ : Avez-vous des exemples personnels d'entreprises et de changements d'habitudes ?
Yves : Pour moi, le changement d'habitude dans une entreprise commence par le management visuel. En rendant les situations et les habitudes visibles, les employés y pensent différemment et commencent à les changer. Par exemple, j'utilise de gros sabliers avec mes équipes. L'idée première est de limiter temporellement les réunions et les présentations. Ensuite, je les mets bien en vue dans les salles de réunions. Et voici ce que je propose aux équipes : "lorsque vous vous ennuyez, vous retournez un sablier avec la durée désirée. Quand le temps sera écoulé, nous discuterons ensemble de si nous voulons continuer ou non sur le sujet en cours". Cela redonne aux gens la responsabilité de leur temps.
Ils ont déjà le déclencheur: s'ennuyer. Ils avaient l'habitude de ne plus faire attention et de se plaindre à ce propos. La récompense est probablement associée au fait de se plaindre à tout le monde.
Dans une entreprise, ils avaient commandé un jeu de ces sabliers pour chaque salle de réunions. Le meilleur retour : le CEO est venu me remercier personnellement car leurs comités de direction ne duraient plus que la moitié du temps qu'ils prenaient avant, avec des discussions de meilleure qualité.
InfoQ : Quelles autres techniques recommanderiez-vous pour les équipes qui voudraient changer leurs habitudes ?
Yves : La meilleure astuce que j'ai apprise dans le livre est : un petit changement peut avoir un immense impact. Analysez vos habitudes actuelles, essayez de les comprendre et voyez si vous pouvez les changer. Trouvez une base commune pour un petit changement d'habitude, et apprenez progressivement aux gens l'habitude de changer leurs habitudes.
C'est pourquoi s'attaquer aux choses simples peut être un bon début. En tant que coach, j'essaye de pousser les gens à faire de petits changements, les aider à réaliser qu'ils ont plus de contrôle qu'ils ne le pensent. Et peu à peu, ils changent toute leur vie, comme mon treadmill desk m'a d'abord fait me déplacer plus en journée, puis m'a fait commencer à courir et avant que je ne m'en rende compte, je courais 5 kilomètres...