Sociocracy 3.0 est un framework ouvert qui permet la collaboration au sein d'organisations agiles et qui les aide à inscrire l'amélioration continue des produits et des services dans leur ADN. Il fournit des modèles pour toutes sortes d'activités comme la coordination du travail, l'efficacité des réunions, la gouvernance et la construction d'une organisation.
Les modèles de Sociocracy 3.0 reposent sur 7 principes :
- Empirisme
- Consentement
- Egalité
- Efficience
- Responsabilité
- Amélioration continue
- Transparence
Le mouvement Sociocracy 3.0 (S3) fournit également des ressources pour apprendre, mettre en pratique et enseigner le S3. Son objectif est de rendre S3 accessible à toute organisation qui souhaite devenir plus efficace, résiliente et agile.
InfoQ a interviewé James Priest et Bernhard Bockelbrink de Sociocracy 3.0. Nous avons pu échanger sur la raison d'être de S3, ses liens avec le monde agile, comment les modèles S3 peuvent s'appliquer dans un environnement agile et le futur de S3.
InfoQ : Qu'est-ce que Sociocracy 3.0 ?
James Priest & Bernhard Bockelbrink : S3 est un framework dans lequel les individus peuvent piocher des outils pour faire grandir une organisation agile. Il se compose de modèles s'appuyant sur des principes - définitions, guides, processus souples - qui se sont avérés utiles lorsqu'il était nécessaire d'atteindre un objectif commun ensemble.
S3 trouve sa source dans les éléments clés du groupe "Sociocratic Circle Organization Method" (SCM, aussi connu sous le nom Dynamic Governance aux Etats-Unis), dans l'approche agile de réalisation logicielle, dans la pensée lean, dans la méthode scientifique, la communication non violente, les Core Protocols, Holacracy (qui est un autre héritier de SCM), la psychologie, le coaching et les techniques de facilitation.
Les modèles sont modulaires mais se renforcent mutuellement et complètent une approche agile (c'est-à-dire empirique et basée sur des hypothèses) pour de nombreux aspects de l'organisation, notamment : co-création, organisation du travail, élaboration et évolution d'accords, efficacité de réunions, développement personnel et organisationnel, alignement et déploiement et évolution des modèles S3. Les schémas sont à la fois favorables et contraignants dans la mesure où ils offrent des lignes directrices sur la façon de procéder, tout en encourageant la collaboration.
S3 a pour objectif d'installer une culture de la collaboration qui prend son inspiration dans deux sources : le désir naturel des gens pour le sens, l'autonomie et la maîtrise ; et auprès de leur besoin de relations et de sentiment d'appartenance.
C'est un moyen pour les gens de prêter attention à ce qui se passe autour d'eux et à leurs besoins réels dans leur contexte de collaboration. Cela leur permet de se focaliser sur la manière de répondre à ce besoin, sans idéaliser la manière dont les choses sont ou devraient être et essayer de prédire ce qu'il y a à faire pour répondre au besoin.
On notera dans S3 des modèles de formulation de propositions et de prise de décisions qui encouragent les perspectives divergentes à s'exprimer, les opinions diverses à être partagées et les avis des personnes touchées par les décisions à être considérés. Au passage, cela renforce le respect et la confiance mutuels. Les modèles facilitent l'émergence des nouvelles idées, la continuité (maintien de ce qui fonctionne) et les contrôles qui permettent de s'assurer que ni les décisions ni les actions identifiées ne mettent en péril l'organisation et peuvent donc être mises en place à l'aune de ce que l'on connaît.
Nous croyons qu'une organisation efficace est une entreprise qui crée de la valeur, qui l'achemine au besoin et qui peut facilement changer lorsque cela est nécessaire pour maintenir ou améliorer le flux de valeur. Plutôt que d'avoir un système rigide de règles et de politiques d'entreprise, S3 offre aux personnes de l'entreprise de se libérer de toute entrave, renforce le sentiment de responsabilité de chacun, encourage la participation de tous et invite à privilégier les accords qui ne font pas perdre d'efficacité, à faire évoluer les choses si nécessaire et à abandonner ce qui ne sert plus.
S3 encourage la pratique réflexive - réflexion "pour", "en" et "sur" l'action, et la capacité à pivoter, à évoluer et s'adapter en fonction de ce qui se passe, ce qui est découvert et ce qui est appris.
InfoQ: Comment Sociocracy 3.0 s'apparente à l'agile?
Priest & Bockelbrink : La majorité des frameworks et des méthodes agiles se focalisent sur le développement logiciel et la gestion de projet, omettant du coup d'adresser les questions concernant le management, la gouvernance et la structure de l'organisation et son évolution. S3 adresse ces questions en gardant l'approche agile. S3 permet de répondre à des défis intéressants : comment mettre en place une culture agile au sein d'une organisation où le potentiel créatif n'est pas limité par une structure hiérarchique ou des idées ancestrales de management de projet ; ou encore comment les personnes de l'organisation peuvent s'épanouir en identifiant les ressources, la compréhension et les compétences nécessaires pour contribuer efficacement à l'épanouissement de l'entreprise.
InfoQ : Comment appliquez-vous les modèles S3 lors de la mise en place de pratiques agiles ?
Priest & Bockelbrink : S3 complète le Lean Startup, Scrum, eXtreme Programming, Kanban (tant au niveau équipe qu'au niveau entreprise), SAFe, DAD, LeSS, OpenAgile et d'autres cadres agile et lean. S3 offre également la possibilité d'adapter et de faire évoluer ces cadres lorsque l'organisation s'approche de leurs limites.
Toute entreprise qui pratique une ou plusieurs de ces méthodes agiles est familière avec plusieurs des modèles de S3, par exemple travailler avec un backlog strictement priorisé, visualiser le travail à faire (via un tableau scrum ou un kanban) ou tenir des rétrospectives. Bien souvent, ce qui aide une équipe agile à s'améliorer profondément sont les modèles S3 qui permettent de prendre et faire évoluer les engagements. Prenons par exemple Consent Decision Making (prise de décision par consentement), qui peut être utilisé pour faire évoluer les accords dans les équipes implémentant Kanban, ou les décisions à propos du produit ou de l'architecture dans une équipe Scrum. Lorsqu'il est question de passer à l'échelle la réalisation, les équipes peuvent utiliser plusieurs modèles de structures comme le Delegate Circle ou le *Service Circle *pour aligner les efforts des équipes, autour des questions d'architecture ou d'orientations produit par exemple. Cela vient souvent en combinaison du modèle de sélection des gens pour identifier qui est le plus apte à représenter l'équipe dans les différents cercles.
Dans l'article Connect Agile Teams to Organizational Hierarchy: A Sociocratic Solution, Pieter van der Meché et Jutta Eckstein expliquent comment la fonction de double lien permet un puissant alignement à travers l'ensemble de la pyramide :
Dans une hiérarchie traditionnelle, il y a une personne (souvent appelée le manager) qui a pour responsabilité de s'assurer que l'information circule du haut au bas de la pyramide. Il a également pour responsabilité de s'assurer que les décisions prises en haut de la pyramide sont exécutées au niveau de son équipe ou de son département. Dans une équipe agile, ce pourrait être le product owner qui porte cette responsabilité (...).
Concernant la circulation de l'information du bas au haut de la pyramide, l'équipe élit un représentant. Ce peut être n'importe quel membre de l'équipe. Ce qui rend la sociocratie si différente tient dans cette circulation de l'information : ce représentant de l'équipe devient également un membre à part entière (avec la pleine capacité de prise de décision) du groupe du niveau supérieur.
C'est pour cela qu'on parle de double lien - au niveau supérieur, il y a toujours deux personnes qui représentent l'équipe du niveau inférieur : le manager et le représentant élu par l'équipe. Pour le dire autrement, à chaque niveau de la hiérarchie il y a quelqu'un qui a été choisi par le niveau supérieur (le manager) et quelqu'un d'autre choisi par le niveau inférieur (le représentant).
InfoQ : Quelle est l'idée derrière les modèles que Sociocracy 3.0 propose ?
Priest & Bockelbrink : Les modèles sont des schémas qui peuvent être adaptés aux défis rencontrés. Chacun des 65 modèles de S3 sont guidés par les 7 principes de base : empirisme, consentement, égalité, efficacité, responsabilité, amélioration continue et transparence.
A côté des 7 principes, il y a également un modèle particulier "Valeurs choisies" (Chosen Values). Il propose aux organisations de choisir leurs valeurs fondamentales (intrinsèques ou aspirationnelles) pour aider à définir les critères permettant une prise de décision ou une action éthique et ainsi permettre à la culture de l'organisation de continuer à évoluer.
Grâce aux modèles de S3, basée sur les principes agiles et le bon sens, le changement de l'organisation est facilité : on garde ce qui fonctionne et on change quand c'est nécessaire, en allant chercher l'inspiration dans un ou plusieurs modèles. De cette façon, les organisations peuvent organiquement se développer et s'adapter à leur propre rythme en démarrant dans l'état où elles sont, un contraste frappant avec les changements abrupts imposés par les approches comme Scrum ou Holacracy qui peuvent représenter un grand risque pour les organisations, mais font un excellent modèle économique pour les consultants !
InfoQ : Qu'est-ce que vous prévoyez pour Sociocracy 3.0 ?
Priest & Bockelbrink : Plus les gens et les organisations vont expérimenter S3, plus l'offre de modèles va s'étendre. Les modèles existants vont être affinés, des mises à jour vont apparaitre. Un exemple de cet enrichissement est le modèle Driver Mapping inspiré par Impact Mapping de Gojko Adzic. Driver Mapping a été découvert puis enrichi par des groupes qui utilisaient S3 et voulaient identifier, répartir et prioriser un portefeuille de projets et un portefeuille de gouvernance, en réponse à des ambitions de plus grande envergure ou à des startups.