Les transformations agiles, tout le monde en parle depuis des années, et les retours publiés sont nombreux. Entre réussites ou échecs, la prise de hauteur sur le sujet est par contre moins fréquente.
Cette prise de hauteur et la réflexion y menant sera le sujet de la prochaine keynote d'Aurélien Morvant intitulée Prêt pour le grand saut où il rapproche la transformation agile au saut à l'élastique. Aurélien s'exprimera à Agile Pays Basque qui aura lieu le 22 septembre prochain à Bidart. InfoQ FR a eu l'opportunité d'échanger avec Aurélien sur le saut à l'élastique, l'intérêt de revenir sur le processus de transformation, le lien entre saut à l'élastique et transformation, la taille comme facteur de transformation, l'orientation top-down des processus de transformation actuelle.
InfoQ FR : Aurélien, la dernière fois que nous avons échangé, c'était pour ton portrait de coach. Pourrais-tu revenir rapidement sur ce que tu fais aujourd'hui ?
Aurélien : Aujourd'hui, j'ai créé mon entreprise avec Matthieu Barbereau. Nous continuons à éclairer et accompagner les gens et les entreprises dans leur transformation.
Nous avons enrichi nos pratiques avec de nouvelles, telles que les approches Solution Focus ou Host Leadership. Et je continue à aider les plus téméraires à goûter au frisson que procure le saut d'un viaduc uniquement attaché à un élastique.
InfoQ FR : Les coachs agiles ont souvent une réputation de trublion ou de personnalité "spéciale". D'où te vient cette passion pour le saut à l'élastique ?
Aurélien : Mon premier saut remonte à 17 ans. J'avais fait cela à l'époque pour je ne sais quelle obscure raison. Par la suite je n'ai pas resauté pendant quelques années. J'avais accompli quelque chose que je voulais sans doute me prouver.
Puis j'ai rencontré la personne qui fait partie de ma vie depuis 10 ans. Elle m'a dit "je fais du saut à l'élastique". Je lui ai répondu "ah oui moi aussi j'ai déjà sauté". Elle s'est un peu moquée de moi en me retournant "ou enfin non, je saute mais surtout j'aide les autres à sauter dans le vide". Par la suite, je l'ai accompagné quelques fois, puis régulièrement. Je me suis formé à cette pratique et maintenant, plusieurs week-ends dans l'année je m'occupe d'aider les gens à trouver la motivation de faire le dernier pas, et tout de même de faire en sorte qu'ils ressortent de cette expérience indemne.
Cette activité, quand on prend un peu de recul, m'aide énormément au quotidien, la semaine quand j'aide mes clients à aborder une transformation qui pour eux s'apparente à un saut dans le vide, une sortie de leur zone de confort.
InfoQ FR : A un moment où le terme de "transformation digitale" a remplacé le terme de "transformation agile", pourquoi revenir sur le processus de transformation d'une entreprise est-il primordial ?
Aurélien : De mon point de vue, pendant de très nombreuses années, personne n'a osé remettre en cause la manière dont nous avons pu travailler dans les entreprises. La manière définie - sans doute à juste titre au moment ou cela a été conçu - n'était pas discutée, pas remise en cause.
Oui ET ! Cette organisation définie à un instant t l'a été dans les conditions de l'instant t. Sauf qu'aujourd'hui, et si on réfléchit dès l'instant t+1, le contexte évolue. Et de facto, il est probable que l'organisation choisie n'est plus adaptée. Quoiqu'il en soit, nous avons vécu avec cette croyance depuis de nombreuses années et aujourd'hui, toutes les entreprises en prennent conscience et entame des transformations, des changements, qui peuvent être d'envergure.
Maintenant, les mots "digital", "numérique", "agile" ... ce sont juste des buzz words. Un jour, un président a dit "le changement c'est maintenant". En fait si on ne veut pas entendre parler de transformation, le postulat devrait être "le changement c'est tout le temps".
InfoQ FR : Durant le prochain Agile Pays Basque, tu expliques les similitudes entre le saut à l'élastique et la transformation agile d'une entreprise. Qu'est-ce qui rapproche ces deux mondes ?
Aurélien : Je vois des gens venir et être plus ou moins motivés pour sauter. C'est un cadeau, c'est un enterrement de vie de garçon/jeune fille, c'est un groupe qui vient et certains n'ont fait que suivre. Ils ne sont pas tous super motivés par le fait de "risquer" leur vie.
Jusqu'ici on ne voit pas encore le rapport.
Comment est-ce que cela se passe dans le monde professionnel ? Sans doute, à son niveau, le collaborateur "lambda" (sans jugement de valeur) ne va pas se lever un matin et dire "tiens aujourd'hui je vais changer profondément la manière dont je travaille et dont mes collègues travaillent". Dans bien des cas, un dirigeant (d'entreprise, de département, de SI, ...) décide pour son groupe de collaborateurs qu'il est temps de changer. Et il lance la fameuse transformation.
Ces deux situations commencent à se ressembler.
Dans le cas du saut à l'élastique, les gens y vont plus ou moins facilement. Dans le cas professionnel, les gens y vont difficilement.
C'est souvent là que j'entends, je pense que c'est pareil pour de nombreuses personnes, "oui mais tu sais, en France les gens sont résistants au changement". Ok donc, le week-end, tous ces gens qui sautent d'un viaduc en mettant d'une certaine manière leur vie en danger sont sans aucun doute des gens bien au dessus de la moyenne et ne résistent pas au changement.
Non ! Rappelez-vous, les gens suivent - ou voire sont contraints - anniversaire, enterrement de vie de garçon/jeune fille - d'y aller. Donc de base, s'ils ne l'avaient pas déjà fait, c'est que quelque part ils étaient résistants.
Et pourtant ils sautent ! Le premier enseignement qu'on peut tirer de cela c'est Peter Senge qui le résume très bien "l'homme n'est pas résistant au changement, il est résistant à être changé".
Qu'est ce qui fait qu'une personne saute d'un pont alors qu'une autre éprouve des difficultés à remettre en cause la manière dont elle travaille ? A quel moment cette seconde risque sa vie ?
Les principales raisons qui ressortent tournent autour du sens que l'on donne à ce que l'on fait et également à l'envie générée pour agir. Sur un viaduc, soit les gens viennent motivés, soit ils vont aller puiser au fond d'eux pour trouver cette motivation. Et nous les aidons à faire ce travail. Dans l'entreprise, le manager, le directeur, peut également y arriver en permettant à ses collaborateurs de percevoir ce que cette transformation peut leur apporter. Et nous les aidons à faire ce travail.
InfoQ FR : Ta présentation part de l'histoire de cette formatrice au saut, que l'on pourrait qualifier de menue, qui fait sauter un homme... qui fait 3 fois son poids. Est-ce qu'un petit peut aider un très gros ?
Aurélien : Les aptitudes ne sont en aucun cas corrélées à la taille d'une personne ou à sa capacité à parler plus fort qu'une autre. Si l'on part sur cette hypothèse, toute personne dans un groupe peut concourir à l'atteinte de l'objectif et à l'amélioration du groupe. Que l'on soit petit, timide, on possède des atouts.
Sur cette photo, Tiphaine, la monitrice, possède une très bonne expérience. Nous avons confiance dans sa capacité à gérer cette personne. Ce que l'on ne voit pas, c'est qu'elle est à la fois aux commandes et en même temps une partie d'un tout : une équipe sans laquelle elle ne serait pas sereine dans son travail.
Ici, on évoque la notion d'intelligence collective qui quand elle est développée à son maximum peut faire apparaître l'intuition collective, moment durant lequel tout le groupe oeuvre naturellement à un objectif commun.
InfoQ FR : Quand on regarde la littérature actuelle sur les transformations agiles/digitales, et l'essor de SAFe en particulier, il semble que la transformation soit plutôt top-down. Qu'en penses-tu ?
Aurélien : Quand on a tenté les premières expérimentations agiles, les premières transformations, nous avions du temps. Du temps pour apprendre, du temps pour échouer. Généralement ces premières transformations étaient issues de la base de l'entreprise. Les gens expérimentaient et se rendaient compte qu'il était important/intéressant de pousser les murs de l'agilité et d'embarquer de plus en plus de monde.
Aujourd'hui le contexte a changé : en 2017 et déjà avant, l'agilité a passé sa phase d'adolescence dans l'esprit des gens. Alors il faut aller vite. Ceux qui en prennent conscience le plus tôt au sein d'une entreprise sont les managers. Et du coup, ce sont les premiers à chercher des solutions. Ils en trouvent par eux-mêmes, sont conseillés... Bref, il faut se transformer. Et de là naît le désir de transformation. Ensuite, ils le communiquent à leurs équipes. Plus ou moins bien. En prime, là ou on avait le temps, maintenant il faut que ca avance vite et qu'on ait un ROI sur la transformation. Et là découle une certaine pression pour tout le monde.
J'aime bien une phrase de Chris Deniaud qui dit "Si vous voulez être agiles, transformez-vous,... et arrêtez de chercher un « retour sur investissement » !". Les frameworks agiles, les transformations digitales partent d'un bon sentiment sans doute. Ils peuvent aider. Par contre, là ou j'ai vu que cela fonctionnait le mieux, c'est quand les porteurs de la transformation participent, expliquent, leadent. Ces frameworks ne sont que des outils et doivent rester des outils, non la finalité.
InfoQ FR : Quelles sont les dernières tendances dans le monde de l'IT qui t'ont le plus marqué ?
Aurélien : En ce moment, j'explore des nouvelles pistes pour aider. On peut noter les approches telles que le Host leadership lancé par Mark McKergow sur lequel j'ai été initié par Géry Derbier & Laurent Sarrazin. Mark part d'une métaphore toute simple mais tellement puissante : tout le monde sait être un bon hôte pour un événement (pro ou perso). Mark a essayé de détailler ce qu'il se passe dans ces moments là. Il en a décliné une analyse qui s'articule autour de 6 rôles et 4 lieux. Et la possibilité pour un manager/leader d'évoluer dans ces rôles, les déléguer et prendre conscience de ses intentions quand il porte un rôle dans un lieu.
InfoQ FR : C'est la seconde édition d'Agile Pays Basque. Que trouves-tu intéressant dans les évènements de la communauté ?
Aurélien : Ce que je trouve d'intéressant, c'est que malgré les 10 ans d'existence de ces conférences, nous rencontrons toujours des gens qui découvrent cela et qui y trouvent du sens. Je les trouve plein d'énergie pour prendre en main leur "transformation" qui pourrait aider un grand nombre d'entreprises. Participer à un événement de ce type devrait figurer au programme de formation de nombreuses entreprises !